/ 1972
580. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Un instant, il nous montre la victoire d’un devoir incontestable (Horace), puis d’un devoir plus douteux (Polyeucte) sur la passion ; mais bientôt cela ne lui suffit plus : ce qu’il exalte, c’est le triomphe de la volonté toute seule, ou tout au plus de la volonté appliquée à quelque devoir extraordinaire, inquiétant, atroce, et dans la conception duquel se retrouvent, avec la naïve et excessive estime des « grandeurs de chair » (Pascal), les idées de l’Astrée et de la Clélie sur la femme et les doctrines du XVIe siècle sur la séparation de la morale politique et de l’autre morale. […] Il ne faut pas oublier que Molière se vengea en jouant sur son théâtre la Folle querelle de Subligny, et que plus tard les deux poètes se réconcilièrent, comme on le voit par le prologue de la Psyché de La Fontaine : cela prouve, sans doute, la bonté de Molière, que personne ne conteste ; mais cela montre peut-être aussi que la conduite de Racine n’avait pas été si noire ni si impardonnable. […] En un sens, rien de plus vrai ni de plus philosophique que la tragédie, qui nous montre les forces élémentaires, les instincts primitifs déchaînés sous la plus fine culture intellectuelle et morale.

581. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

viens, montre-toi, apparais sur le faîte de ce mausolée, soulevant la sandale pourprée de ton pied, et dévoile la splendeur de ta tiare royale. […] Du port de la tombe, il montre à ses peuples la mobilité des fortunes humaines, et quels naufrages elle entraîne, quand la crue de l’orgueil humain a dépassé le niveau permis. […] Mais le texte la montre ensuite terriblement vivante et sincère, avec ses batteries de mots frénétiques, sans autre sens que leur son, ses consonnances haletantes, ses trilles de sanglots, ses onomatopées qui font rugir la douleur.

582. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

» Comme cette veuve de l’Orient, qu’un voyageur nous montre couchée sur la tombe de son époux et creusant le moule de son beau sein dans la poussière du sépulcre, la Muse grecque, visitant ces tombeaux profanes, n’y laissait que des vestiges de grâce et de volupté. […] Dumas, c’est que, s’il montre pour l’amant quelque partialité et quelque faveur, il observe, du moins, envers le mari, la neutralité la plus rigoureuse. C’est une figure toute neuve, au théâtre, que celle de ce comte de Lys, vrai Taciturne du mariage, ni sympathique ni odieux, ni attrayant ni blâmable, abstrait comme le droit, patient comme la force, inexorable comme la justice et tuant, comme elle, dans un cas prévu, à heure fixe, la montre en main, sans émotion et sans colère.

/ 1972