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295. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

Proportion, sobriété, décence, moyens simples et de cœur substitués aux grandes catastrophes et aux grandes phrases, tels sont les traits de la réforme, ou, pour parler moins ambitieusement, de la retouche qu’elle fit du roman ; elle se montre bien du pur siècle de Louis XIV en cela. […] Rœderer a complétement raison contre ces manières de dire ; mais il s’abuse lui-même assurément quand il fait de cet hôtel le berceau légitime du bon goût, quand il nous montre Mlle de Scudéry comme y étant plutôt tolérée qu’exaltée et admirée. […] De 1666 à 1670, la santé de Mme de La Fayette qui n’était pas encore ce qu’elle devint bientôt après, et la faveur qu’elle possédait auprès de Madame, lui donnaient occasion et moyen d’aller assez souvent à la cour ; ce n’est guère qu’après la mort de Madame, et à l’époque aussi de cette diminution de santé de Mme de La Fayette, que la liaison, telle que Mme de Sévigné nous la montre, se régla complétement. […] — Il y a des jours aussi où Mme de La Fayette va encore faire une petite visite à la cour, et le roi la place dans sa calèche avec les dames et lui montre les beautés de Versailles comme ferait un simple particulier ; et un tel voyage, un tel succès, si sage qu’on soit, fournit matière, au retour, à des conversations fort longues, et même à des lettres moins courtes qu’à l’ordinaire de la part de Mme de La Fayette qui aime peu à écrire ; et Mme de Grignan de loin est un peu jalouse ; elle l’est encore à propos de quelque écritoire de bois de Sainte-Lucie dont Mme de Montespan fait présent à Mme de La Fayette108 ; mais Mme de Sévigné raccommode tout cela par les compliments et les douceurs qu’elle arrange et quelle échange sans cesse entre sa fille et sa meilleure amie. […] Le désabusement de toutes choses se montre dans cette crainte qu’elle prête à Mme de Clèves, que le mariage ne soit le tombeau de l’amour du prince, et n’ouvre la porte aux jalousies : cette crainte, en effet, autant que le scrupule du devoir, s’oppose dans l’esprit de Mme de Clèves au mariage avec l’amant.

296. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Pour nous apprendre l’inénarrable puissance de ce secret, Wagner nous montre d’abord la beauté ineffable du sanctuaire, habité par un Dieu qui venge les opprimés, et ne demande qu’amour et foi à ses fidèles. […] Il ne nous le fait point apercevoir, dans son imposante et réelle structure, mais comme ménageant nos faibles sens, il nous le montre d’abord reflété dans quelque onde azurée, ou reproduit par quelque nuage irisé, C’est au commencement une large nappe dormante de mélodie, un éther vaporeux qui s’étend, pour que le tableau sacré s’y dessine à nos yeux profanes ; effet exclusivement confié aux violons, qui, après plusieurs mesures de sons harmoniques, continuent dans les plus hautes notes de leurs registres. […] Si l’on déclare Lohengrin égoïste, cela montre simplement qu’on ne le comprend pas. […] Et il montre, ainsi, l’insuffisance de ces deux visions séparées, In nécessité de les joindre dans la formule définitive d’un Art complet. […] La description du prélude de Lohengrin par le compositeur lui-même montre que Wagner apposait des images à sa musique.

297. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Mme Dorrit a suivi son pauvre homme de mari à la prison pour dettes ; elle est sur le point d’accoucher, il lui faut une garde, celle-ci se présente et le discours graphique par lequel elle débute montre tout entière cette singulière personne bavarde, niaisement serviable et toute prête à se consoler la première par ses bonnes paroles. […] Il doit faire vrai ; la moitié de son mérite — et chez Daumier cela touche au génie — consiste dans la justesse de l’observation, l’exactitude de la silhouette, la précision de la satire, la vie surprise par le dessin sommaire, de façon que le spectateur ne puisse douter un instant qu’on lui montre un être réel, observé dans son aspect, analysé dans son caractère. […] Né dans une famille de pauvres employés du commissariat de la marine, son père étant le brave homme dépensier, cérémonieux et faible que nous montre M.  […] L’enfant qui était alors chétif et faible, qui avait des goûts studieux, un peu pédants même, bien rares parmi ses compatriotes, se pénétra de tous ces livres ; il passa dans sa famille pour un petit prodige et, comme il était habile à retenir les chansons de café-concert qu’on le menait entendre, on l’exhibait souvent aux voisins, juché sur une table et faisant montre de ses talents. […] De l’enfant un peu délicat qu’il était, il s’était transformé en un jeune homme élancé, souple, singulièrement agile et vigoureux, que nous montre un portrait de Maclise, où éclate, sous une abondante chevelure bouclée brune et dans le gracieux ovale imberbe et rose du visage, le regard presque lumineux de vitalité et de gaîté de deux fixes yeux bleus.

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