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554. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil. — I »

Celui-ci n’avait de pouvoir que celui de requérir, sans autre correction que le principe moral du devoir ; ces réquisitions amiables du Congrès, adressées aux diverses législatures des États, rencontraient de fréquents veto de leur part : le rouage principal s’arrêtait à chaque moment. […] Le spectacle, que les États-Unis présentent en ce moment au monde dans le conflit élevé entre le Congrès et la Caroline du Sud, est, ce nous semble, un sujet d’admiration encore plus que de crainte. […] Quand le peuple se lève et passe, ces gens-là se jettent à plat-ventre : on les croirait morts en ces moments, si en ces moments l’on songeait à eux ; mais sitôt que le peuple en personne est passé, vite ils regardent alentour et se ravisent.

555. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Je vous donne à deviner ce qui s’appelait, en ce temps-là, tour à tour, « une bibliothèque vivante où l’on apprend tout sans peine et sans étude ; une salle de musiciens où l’on entend les plus savants concerts ; un théâtre magnifique où tout ce qui frappe les yeux étonne l’esprit et glace la voix ; une école toute céleste où les esprits, de quelque étage qu’ils soient, peuvent, en y arrivant, s’élever à tous moments, et, par l’approche et la communication d’un corps lumineux, acquérir tous les jours des clartés nouvelles ; un parterre orné de fleurs de toutes les couleurs ; un corps qui marche à frais communs et à pas égaux vers l’immortalité ; le sanctuaire et la famille des Muses ; une si haute région d’esprit, que l’on en perd la pensée, comme, quand on est dans un air trop élevé, on perd la respiration. » C’est l’Académie française à qui s’adressaient ces louanges à la fois si énigmatiques et si outrées, dans des discours de réception où les nouveaux élus se donnaient toute cette peine pour ne pas se dire simplement reconnaissants. […] Il le dispute par moments à Marivaux pour le tour énigmatique. […] » Si Lamotte s’était plus mêlé de moraliser, je croirais le reconnaître dans cette image de vertus humaines, qui, « nées le plus souvent dans l’orgueil et dans l’amour de la gloire, y trouvent un moment après leur tombeau », ou qui, « formées par les regards publics, vont s’éteindre le lendemain, comme ces feux passagers, dans le secret et les ténèbres19. » Suis-je même bien sûr de ne pas faire tort à Lamotte, en le supposant capable de ces figures ? Mais ce qui étonne peu d’un bel esprit, attriste dans un prédicateur ; et je ne fais peut-être pas si mal de m’émouvoir d’un travers d’esprit qui s’était glissé jusque dans la chaire, et qui en faisait descendre, par moments, au lieu de ce grand langage qui élève l’âme en perfectionnant le goût, d’ingénieuses obscurités qui gâtaient le goût et laissaient l’âme froide.

556. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Il conviendrait encore, du moment où on se pose en champion de la différence humaine et de l’originalité, d’avoir des désirs vraiment neufs et intéressants, des sentiments qui vaillent la peine d’être exprimée. […] Ce passage du premier moment au second est l’histoire de presque tous les hommes qui ont apporté au monde des désirs généreux, de nobles desseins et de vastes espoirs. […] C’eût été peut-être celle d’un Nietzsche, si Nietzsche n’était mort trop tôt pour être parvenu encore au second moment de l’individualisme aristocratique. […] Je t’offre le marché… Si je dis jamais au moment : Attarde-toi, tu es si beau !

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