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759. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Ce jugement du grand historien de l’humanité serait équitable, s’il ne rabaissait pas un peu trop les modernes devant les anciens. […] Nous voudrions savoir quel est, dans la Marseillaise, chant national des Français modernes, le plaisir de l’imitation. […] Elle est l’antécédent direct de la méthode cartésienne, laquelle est le fondement de toute la philosophie moderne. […] La Logique même, tout admirable qu’en est la composition, présente quelques taches : les parties diverses de cette construction colossale ne se tiennent pas assez entre elles ; et, bien que les rapports de subordination qui les unissent incontestablement se révèlent à une étude patiente, les meilleurs esprits ont pu s’y tromper, dans l’antiquité comme dans les temps modernes. […] Par là, nous aurons la mesure de ces doctrines qui, en étudiant l’âme de l’homme, se bornent à constater des phénomènes, et qui se croient prudentes parce qu’elles n’osent prononcer sur les questions que ces phénomènes doivent aider à résoudre ; par là, nous aurons la mesure de la doctrine de nos physiologistes modernes ; nous aurons surtout la mesure de la doctrine antique, dont la leur n’est qu’un écho.

760. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Étudiez l’histoire des grandes nations modernes : vous y trouverez nombre de grands savants, de grands artistes, de grands soldats, de grands spécialistes en toute matière, — mais combien de grands hommes d’État ? […] Si de grandes nations ont pu se constituer solidement dans les temps modernes, c’est parce que la contrainte, force de cohésion s’exerçant du dehors et d’en haut sur l’ensemble, a cédé peu à peu la place à un principe d’union qui monte du fond de chacune des sociétés élémentaires assemblées, c’est-à-dire de la région même des forces disruptives auxquelles il s’agit d’opposer une résistance ininterrompue. […] Ces allers et retours sont caractéristiques de l’État moderne, non pas en vertu de quelque fatalité historique, mais parce que le régime parlementaire a justement été conçu, en grande partie, pour canaliser le mécontentement. […] On a rappelé que l’homme avait toujours inventé des machines, que l’antiquité en avait connu de remarquables, que des dispositifs ingénieux furent imagines bien avant l’éclosion de la science moderne et ensuite, très souvent, indépendamment d’elle : aujourd’hui encore de simples ouvriers, sans culture scientifique, trouvent des perfectionnements auxquels de savants ingénieurs n’avaient pas pensé. […] Mais, remontant des profondeurs obscures de l’âme à la surface de la conscience, et y rencontrant l’image du mysticisme vrai telle que les mystiques modernes l’ont présentée au monde, instinctivement elle s’en affuble ; elle attribue au Dieu du mystique moderne le nationalisme des anciens dieux.

761. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Dieu le sait, il n’est pas encore dans l’été de sa vie ; mais, si mon jugement ne me trompe pas, il fera ce que nous appelons de notre temps un poète intime, c’est-à-dire un de ces poètes rassasiés de la pompeuse déclamation rimée dont nos oreilles sont obsédées dans nos écoles classiques ou dans nos théâtres redondants et ronflants d’emphase ; il sera un de ces poètes nés d’eux-mêmes, originaux parce qu’ils sont individuels ; un de ces poètes qui n’ont pour lyres (comme on dit) que les cordes émues de leur propre cœur, et qui font, dans la poésie moderne, cette révolution que J. […] XIV Ce jeune homme aura évidemment un autre don de la poésie moderne, le don de rendre en vers familiers quoique expressifs les choses et les sentiments que l’orgueil emphatique de la poésie du dix-huitième siècle avait relégués dans le domaine de la prose, comme si le vers était incapable de dire juste et vrai, comme si la poésie n’était pas, par excellence, le langage du cœur ! […] L’hymne évaporé, il descend plus bas, d’un pied plus rapide, et il aperçoit de loin les tours démantelées du château de Saint-Point, Où le barde muet, ce moderne brahmane, Vit entouré d’oiseaux et de chiens pour amis. […] Elle écrivait avec la même facilité en anglais, en allemand, en français, en italien, en grec, en hébreu, éloquente et poète sur dix instruments antiques ou modernes, sans distinction et presque sans préférence ; musicienne qui joue avec tous les claviers.

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