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1980. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Mais il se ravisa : « On m’apprit, dit-il, que j’avais tort, le commandement du roi s’y interposant aussi. » Il se mit en route pour revenir, avant d’avoir reçu la lettre et l’injonction du roi datée du 25 novembre 1581. […] Elle le fut à moi et ne l’avait été que deux fois auparavant, quelques années y avait, à M. de Lansac et fraîchement à M. de Biron, maréchal de France, en la place duquel je succédai ; et laissai la mienne à M. de Matignon, aussi maréchal de France… La fortune voulut part à ma promotion par cette particulière circonstance qu’elle y mit… Alexandre dédaigna les ambassadeurs corinthiens qui lui offraient la bourgeoisie de leur ville ; mais quand ils vinrent à lui déduire comme Bacchus et Hercule étaient aussi en ce registre, il les en remercia gracieusement. » Montaigne s’égaye et badine. […] Quand tout le monde fut réuni, le maréchal commença à discourir sur les desseins des ligueurs, sur les troubles qu’ils excitaient au cœur du royaume, et sur le danger où ils mettaient Bordeaux en particulier ; puis, se tournant brusquement vers le baron de Vaillac, il lui dit que sa fidélité était suspecte au roi, et qu’en conséquence il eût à remettre incontinent le Château-Trompette entre ses mains. […] Il faut être un Malesherbes par le cœur pour s’en revenir exprès de Lausanne après le 10 août, sans nécessité, tout exprès pour offrir ses bons offices à Louis XVI et mettre sa propre tête au hasard du couteau. […] Il se mit à la tête de sa petite caravane.

1981. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

M. de Sénancour, en 1832 Nous vivons dans un temps où la publicité met un tel empressement à s’emparer de toutes choses, où la curiosité est si indiscrète, la raillerie si vigilante, et l’éloge si turbulent, qu’il semble à peu près impossible que rien de grand ou de remarquable passe désormais dans l’oubli. […] Ce contemporain, dont le nom n’étonnera que ceux qui n’ont lu aucun de ses trois ouvrages caractéristiques, et qu’un instinct heureux de fureteur ou quelque indication bienveillante n’a pas mis sur la voie des Rêveries, d’Oberman et des Libres Méditations ; l’éloquent et haut moraliste qui débuta en 1799 par un livre d’athéisme mélancolique, que Rousseau aurait pu écrire comme talent, que Boulanger et Condorcet auraient ratifié comme penseurs ; qui bientôt, sous le titre d’Oberman, individualisa davantage ses doutes, son aversion sauvage de la société, sa contemplation fixe, opiniâtre, passionnément sinistre de la nature, et prodigua, dans les espaces lucides de ses rêves, mille paysages naturels et domestiques, d’où s’exhale une inexprimable émotion, et que cerne alentour une philosophie glacée ; qui, après cet effort, longtemps silencieux et comme stérilisé, mûrissant à l’ombre, perdant en éclat, n’aspirant plus qu’à cette chaleur modérée qui émane sans rayons de la vérité lointaine et de l’immuable justice, s’est élevé, dans les Libres Méditations, à une sorte de théosophie morale, toute purgée de cette âcreté chagrine qu’il avait sucée avec son siècle contre le christianisme, et toute pleine, au contraire, de confiance, de prière et de douce conciliation ; fruit bon, fruit aimable d’un automne qui n’en promettait pas de si savoureux ; cet homme éminent que le chevalier de Bouflers a loué, à qui Nodier empruntait des épigraphes vers 1804 ; que M. […] On le mit d’abord en pension chez un curé, à une lieue d’Ermenonville ; les souvenirs de Rousseau l’environnèrent. […] Une maladie nerveuse singulière, bizarre, qui se déclara en lui après l’usage du petit vin blanc de Saint-Maurice, et le projet de sa mère de le venir rejoindre, décidèrent M. de Sénancour à demeurer en Suisse ; seulement il quitta le Valais pour le canton de Fribourg, et s’y mit en pension à la campagne, dans une famille patricienne du pays. […] L’athéisme et le fatalisme dogmatique des Rêveries ont fait place à un doute universel non moins accablant, à une initiative de liberté qui met en nous-même la cause principale du bonheur ou du malheur, mais de telle sorte que nous ayons besoin encore d’être appuyés de tous les points par les choses existantes.

1982. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Du moment en effet qu’il s’agissait de fonder, non pas une poésie dans le xixe  siècle, mais la poésie du xixe  siècle lui-même ; du moment qu’on s’était mis en marche, non pour jeter quelque part une colonie furtive, mais pour faire une révolution réelle dans l’art, la pensée dramatique avait toute raison de prévaloir ; l’épreuve décisive était et elle est encore dans cette arène ; quiconque ne l’y met pas désespère plus ou moins de cette aimantation poétique du siècle en masse, qui a été le rêve des avant-dernières années. […] Les métaphores elles-mêmes, les images prolongées qui ne sont en jeu que pour traduire une pensée ou une émotion, n’ont pas toujours besoin d’une rigueur, d’une analogie continue, qui, en les rendant plus irréprochables aux yeux, les roidit, les matérialise trop, les dépayse de l’esprit où elles sont nées et auquel, en définitive, elles s’adressent ; l’esprit souvent se complaît mieux à les entendre à demi-mot, à les combler dans leurs négligences ; il y met du sien, il les achève. […] A ses heures riantes, ce qui est rare, quand elle oublie un moment sa peine et qu’elle se met à décrire et à conter, il lui arrive le défaut tout contraire à la diffusion éthérée de Lamartine, elle tombe dans le petit, dans l’imperceptible, dans la vignette scintillante : Un tout petit enfant s’en allait à l’école… O mouche, que ton être occupa mon enfance ! […] A cette biographie un peu fabuleuse, tracée par conjecture, d’après les seules poésies, nous joignons la lettre suivante, où Mme Valmore a bien voulu répondre elle-même à des questions plus précises : « Mon père m’a mise au monde à Douai son pays natal (20 juin 1786).

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