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1977. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

En effet, elle mit une grande importance à quitter, après examen, la communion grecque, que nous appelons schismatique et qu’ilsappellent là-bas orthodoxe, pour se faire catholiqueromaine. […] Par je ne sais quel raffinement d’humilité, elle se mettait toutefois fort au-dessous de son incomparable amie. […] Mais on aura déjà remarqué combien il est peu commode pour la critique littéraire de trouver à mettre le pied convenablement en un tel sujet. […] Peut-être cependant, sans que je veuilleôter à son mérite, que si elle avait aimé une seule fois, leur nombre à tous en aurait été considérablement diminué… » Quelques semaines après, une liaison était nouée entre elles, et Mme Swetchine se mettait elle-même au ton de l’inévitable enchanteresse, elle feignait même d’être sous le charme, lorsqu’elle lui envoyait de Naples tes cajolantes paroles : « Je me suis sentie liée avant de songer à m’en défendre ; j’ai cédé à ce charme pénétrant, indéfinissable, qui vous assujettit même ceux dont vous ne vous souciez pas. […] Mais il n’y avait pas en cela de motif de rivalité ; on mettait cette prédilection sur le compte de la Russie et de la reconnaissance ; et la gloire de M. de Maistre, d’ailleurs, était encore chez nous à l’état de paradoxe.

1978. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Murray, frère de lord Elibank : « Je n’eus, dit-il, des yeux et des oreilles que pour regarder Mme de Boufflers et l’écouter ; tout ce qu’elle me disait me paraissait tourné différemment de ce que disaient les autres : je n’ai vu qu’elle qui ne perdît rien de son naturel, en ayant toujours de l’esprit. » Elle projetait d’aller à Londres aussitôt la paix faite, et elle mit ce projet à exécution. […] Quand notre visite eut assez duré, elle et moi nous le quittâmes, et nous étions déjà dans le passage intérieur du Temple, lorsque tout d’un coup nous entendîmes un bruit comme un tonnerre : c’était Johnson, qui, à ce qu’il paraît, après un instant de réflexion, s’était mis en tête qu’il devait faire les honneurs de sa résidence littéraire à une dame étrangère de qualité, et qui, tout empressé de se montrer galant, se précipitait du haut en bas de l’escalier dans une violente agitation. […] Je ne puis mieux la faire connaître qu’en rapportant ici son Portrait, fait par un homme à qui elle avait rendu le service important de le tirer du couvent et de le faire relever de ses vœux ; il lui dédia un ouvrage sans mettre son nom à la tête de l’Épître dédicatoire, parce qu’elle n’avait pas voulu le lui permettre. […] Elles échappèrent toutes deux au sort fatal qui en atteignit tant d’autres aussi innocentes qu’elles37, et les deux prisonnières furent mises en liberté deux mois après le 9 thermidor, à la date du 14 vendémiaire an III (5 octobre 1794). […] Un volume entier où l’on recueillerait la suite de ses lettres à Jean-Jacques et de Jean-Jacques à elle, où l’on mettrait la Correspondance de Hume exactement traduite, celle de Gustave III que l’on ne saurait manquer de retrouver, ce serait là, au défaut de sa tombe inconnue, son véritable tombeau, tout littéraire comme elle, et son durable monument.

1979. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Cette métairie, c’est la sienne, et que le propriétaire s’est mis à décrire avec amour et complaisance, tandis qu’il l’avait sous les yeux. […] Les femmes et les enfants s’occupent sans cesse à les cueillir ou à les relever, et leur travail présente une tout autre image que celle de l’hiver. » J’ai mis tout le tableau, moins quelques lignes. […] C’est ainsi qu’une nuit, en Italie, il rêva qu’il était à Genève, en tiers avec sa sœur et une autre dame genevoise ; celle-ci se mit à lui parler avec franchise de ses qualités et défauts, et, entre autres vérités un peu dures, elle lui dit : « J’ai encore un reproche impardonnable à vous faire : c’est d’avoir abandonné votre patrie, et d’avoir voulu renoncer au caractère de citoyen genevois. » — Je me défendis d’abord, nous dit Sismondi, qui a pris soin de relater par écrit ce songe, en représentant que la société n’était formée que pour l’utilité commune des citoyens ; que, dès qu’elle cessait d’avoir cette utilité pour but et qu’elle faisait succéder l’oppression et la tyrannie au règne de la justice, le lien social était brisé, et chaque homme avait droit de se choisir une nouvelle patrie. […] Elle lui dit : « Qu’elle avait écrit, il est vrai, qu’il fallait se roidir contre l’opinion publique, mais non pas contre celle de ses parents ; que, d’après ce qu’on lui avait raconté, la demoiselle qu’il recherchait n’ajouterait par sa famille aucun lustre à la sienne, mais au contraire qu’elle ne lui apporterait aucune fortune et le mettrait dans la dépendance ; qu’elle regardait bien toutes ces distinctions de famille à Genève comme très-ridicules et de fort peu de poids ; mais que cependant elles en acquéraient davantage lorsque l’alliance que l’on contractait pouvait ouvrir ou fermer la porte de la meilleure compagnie et faire tourner la balance ; qu’il devait considérer la nature de son attachement et la personne qu’il aimait ; que si elle était telle qu’il crût réellement impossible de la remplacer, pour l’esprit et le caractère, par une autre qui lui fût égale, alors cette considération pouvait devenir la plus puissante de toutes ; mais, que s’il n’avait pas ce sentiment, il fallait peser toutes les autres convenances. » « J’ai répondu, poursuit Sismondi, que je jugeais en amant et que je ne pouvais éviter de voir cet accord parfait. — Elle a répliqué qu’un homme d’esprit, de quelque passion qu’il fût animé, conservait encore un sens interne qui jugeait sa conduite ; que toutes les fois qu’elle avait aimé, elle avait senti en elle deux êtres dont l’un se moquait de l’autre. — J’ai ri, mais j’ai senti que cela était vrai… » C’est là de la bonne foi, et c’est cette entière bonne foi, cette disposition naïve, italienne ou allemande comme on voudra l’appeler, mais à coup sûr peu française, qui, jointe à un grand sens et aux meilleurs sentiments, est faite pour charmer dans le Journal et dans la correspondance de Sismondi. — Et comment finit le roman d’amour ? […] Sans doute elle ne se liera qu’avec des gens qui sachent bien le français, car pour qu’elle mette ses pensées en italien, elle, c’est impossible.

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