Quand on a été jugé soi-même, souvent par le premier venu, qui ne connaissait ni les personnages, ni les événements, ni les questions sur lesquelles il prononçait en maître, on ressent autant de honte que de dégoût à devenir, un juge pareil. […] Voilà, selon nous, le tort du 18 brumaire : il donnait à la France une réaction au lieu d’une modération, et un maître au lieu d’une constitution. […] Il s’écrie : Nous avons un maître qui sait tout faire ! […] Toutefois il avait un mérite moral : c’était d’aimer la paix sous un maître qui aimait la guerre, et de le laisser voir. […] Mais il agissait peu sur ce maître impérieux, auquel il n’imposait ni par le génie, ni par la conviction.
Un ouvrage si fort part de la main d’un maître. […] Ce grand homme fit d’abord comme Quinault : il imita Corneille, mais il trouva quelques traits dignes du maître. […] Les beaux endroits de la Thébaïde et de l’Alexandre sont moins des beautés solides que de fortes impressions produites par de grands exemples sur un jeune homme destiné à devenir à son tour un maître de l’art. […] Mais, dans les vers qui suivent, en cherchant la grandeur sur les traces du maître, le disciple la rencontre dans le cœur humain. […] L’ambitieux que la faveur étourdit et précipite, c’est Mathan ; le soldat qui a servi sous deux maîtres, et qui obéit au second en gardant sa foi au premier, c’est Abner.
En même temps qu’il a été si soigneux de rattacher à chaque page, à chaque vers, tout ce qui s’y rapporte directement ou indirectement chez les Anciens ou même chez les modernes, le nouvel éditeur ne tire point trop son auteur du côté des textes et des commentaires, et il ne prétend point le ranger au nombre des poëtes purement d’art et d’étude ; il relève avec un soin pareil, il sent avec une vivacité égale et il nous montre le côté tout moderne en lui, et comme quoi il vit et ne cesse d’être présent, de tendre une main cordiale et chaude aux générations de l’avenir : « Chénier, remarque-t-il très justement, ne se fait l’imitateur des Anciens que pour devenir leur rival. » À Homère, à Théocrite, à Virgile, à Horace, il essaye de dérober la langue riche et pleine d’images, la diction poétique, la forme, de la concilier avec la suavité d’un Racine, et quand il en est suffisamment maître, c’est uniquement pour y verser et ses vrais sentiments à lui, et les sentiments et les pensées et les espérances du siècle éclairé qui aspire à un plus grand affranchissement des hommes. […] Et puis, c’est rarement en son nom qu’il parle : c’est au nom des maîtres, de ces poëtes divins et délicats dont il est plein et dont il nous sert les exquises reliques.