» Et confondant un moment ses douleurs avec celles du maître, mêlant ses larmes aux siennes à l’occasion de la mort de M. de Luxembourg : « Soyons hommes et point philosophes, lui disait-il, malheureux même s’il le faut, pour être plus humains ! […] Enhardi par les questions qui m’ont été faites, et muni de toutes pièces, j’ai tâché aujourd’hui de mieux graver les traits et de fixer dans la mémoire de tous l’idée de ce second de Rousseau, de ce disciple unique et parfaitement naturel, dont les rapports de ressemblance avec le maître avaient déjà frappé quelques-uns des contemporains. […] La différence des chiffres exprime assez bien la proportion de leurs sentiments mutuels : le disciple donnait dix fois plus au maître que le maître au disciple. — Il faut dire, aussi que beaucoup de lettres de Rousseau se sont perdues.
Son grand-père était sous-préfet à Rocroi, en 1814-1815, sous la première Restauration ; son père, avoué de profession, aimait par goût les études ; il fut le premier maître de son fils et lui apprit le latin : un oncle revenu d’Amérique lui apprenait l’anglais en le tenant tout enfant sur ses genoux. […] Les maîtres très-larges d’esprit, ou très-indulgents, laissaient volontiers courir devant eux bride abattue toutes ces intelligences émules ou rivales, et n’apportaient aucun obstacle, aucun veto aux questions controversées. […] Berger, maîtres de conférences. […] Le maître assistait à la leçon de l’élève en manière d’arbitre et déjugé du camp.
Cependant un désir sourd de ne pas paraître toujours dominé lui faisait prendre quelquefois des airs glacés et des regards de maître, qui imprimaient la terreur aux plus audacieux et déconcertaient ceux qui se croyaient le plus avant dans sa confiance : dans ces moments, sa faiblesse semblait vouloir s’étayer de tout ce que le pouvoir a d’imposant ; mais les ministres qui le connaissaient bien savaient qu’il ne fallait que gagner du temps et qu’en multipliant les intrigues, la persévérance les ferait toujours venir à bout de leurs desseins. Une chose les inquiétait beaucoup plus, c’est la connaissance qu’ils avaient de la défiance et de la profonde dissimulation de ce prince : on ne sait si elles lui étaient naturelles ou si elles lui avaient été de bonne heure inspirées parle cardinal, mais il en était venu à regarder la dissimulation comme une qualité qui lui était absolument nécessaire, et c’est à dissimuler que se bornait pour lui l’art de gouverner. » Ce lieutenant des chasses qui avait en lui, à Versailles, du Tacite et du Suétone, n’a pas fini, et il continue d’analyser son maître sur ce ton, intus et in cute. […] L’enfant redemandait son maître d’habitude ; le roi s’irritait d’avoir été joué et disait qu’après tout il était le maître aussi.