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347. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

» Mais lorsqu’on lui eut porté, quelque temps après, le Dithyrambe sur la Naissance du Roi de Rome : « Allons, dit-il, amenez-le-moi ; aussi bien on voudrait l’empêcher qu’il ne ferait jamais autre chose que des vers. » Et le jeune Casimir lui ayant été présenté, il le reçut comme un fils, lui donna des conseils particuliers, lui fit suivre son cours, le lia avec son autre lui-même, Picard, et insensiblement, bien peu d’années après, Casimir Delavigne, encore très-jeune, était devenu à son tour le conseiller de ses premiers maîtres, surtout de Picard qui lui lisait ses comédies : naïve et touchante réciprocité ! […] Un moment vient où le jeune homme, qui jusqu’alors avait paru suivre la leçon des devanciers et des maîtres, se croit sûr de lui. […] Casimir Delavigne a cela de particulier, entre les gloires poétiques de son âge avec lesquelles on l’a souvent comparé, qu’il reçut docilement la tradition des maîtres d’alors, et qu’il n’eut jamais l’idée ni la velléité de s’y soustraire : il pressentait toutes les ressources que son talent en pouvait tirer, et qu’il en serait le rejeton le plus fertile, le plus brillant. […] Aussi, malgré son prélude de la veille, on peut dire de Casimir Delavigne qu’il entra à la première représentation de ses Vêpres Siciliennes incertain, pauvre, à peu près inconnu, et qu’il en sortit maître de sa destinée. […] Je vois devant moi les hommes qui, à des degrés divers, ont donné à la scène française son éclat et ses nuances de nouveauté depuis plus de vingt ans ; ce n’est pas devant ces juges du camp, qui ont pratiqué l’arène, ce n’est pas devant le grand poëte qui me fait l’honneur de me recevoir en ce moment au nom de l’Académie, glorieux champion dans bien des genres, et lui-même l’un des maîtres du combat, que je viendrais étaler et mettre aux prises des théories contradictoirement discutables, tour à tour spécieuses, mais qui n’ont jamais de meilleure solution ni de plus triomphante clôture que ce vieux mot d’un vainqueur parlant à la foule assemblée : Allons de ce pas au Capitole remercier les Dieux ! 

348. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Giraud, qui est dès longtemps reconnu pour maître en ces matières. […] Il assista aux débuts de ces maîtres célèbres, et il goûta, s’il se peut dire, ce grave enseignement dans sa nouveauté et sa fraîcheur. […] De tous ces princes et seigneurs qui ne parlent en sens divers que de la religion de Dieu, du service du roi, de l’amour de la patrie, « je n’en vois pas un tout seul, dit-il, qui, sous ces beaux prétextes, ne ruine totalement le royaume de fond en comble… Il seroit impossible de vous dire quelles cruautés barbaresques sont commises d’une part et d’autre : où le Huguenot est le maître, il ruine toutes les images, démolit les sépulchres et tombeaux… En contr’échange de ce, le catholique tue, meurdrit, noie tous ceux qu’il connoît de cette secte ; et en regorgent les rivières… » Quant aux chefs, bien qu’ils fassent contenance de n’approuver tels déportements, Pasquier remarque qu’ils les passent aux leurs par connivence et dissimulation. […] Le même homme qui va écrire une lettre d’effusion et d’ivresse au sujet de la victoire d’Ivry, une lettre qui est comme le bulletin de triomphe et le cri populaire de la joie française, cet homme croit de son strict devoir d’avocat du roi près d’une cour souveraine, d’avertir son maître, de l’arrêter résolument dans une de ses volontés, au risque de lui déplaire. […] Le chef et le héros de cette haute magistrature au xvie  siècle, le premier président Achille de Harlay, dira au duc de Guise qui le venait visiter au lendemain des Barricades, et qui le trouvait se promenant tranquillement dans son jardin : « C’est grand pitié quand le valet chasse le maître ; au reste, mon âme est à Dieu, mon cœur est à mon roi, et mon corps est entre les mains des méchants : qu’on en fasse ce qu’on voudra ! 

349. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Si les grands maîtres se retirent, les subalternes se retireront, ne fût-ce que pour se donner un air de grands maîtres ; bientôt les murs du Louvre seront tout nuds, ou ne seront couverts que du barbouillage de polissons, qui ne s’exposeront que par ce qu’ils n’ont rien à perdre à se laisser voir ; et cette lutte annuelle et publique des artistes venant à cesser, l’art s’acheminera rapidement à sa décadence. […] Quel rapport y a-t-il entre le salaire qu’on accordait aux maîtres anciens, et la valeur que nous mettons à leurs ouvrages ? […] Avec le tems, par une marche lente et pusillanime, par un long et pénible tâtonnement, par une notion sourde, secrette, d’analogie, acquise par une infinité d’observations successives dont la mémoire s’éteint et dont l’effet reste, la réforme s’est étendue à de moindres parties, de celles-cy à de moindres encore, et de ces dernières aux plus petites, à l’ongle, à la paupière, aux cils, aux cheveux, effaçant sans relâche et avec une circonspection étonante les altérations et difformités de nature viciée, ou dans son origine, ou par les nécessités de sa condition, s’éloignant sans cesse du portrait, de la ligne fausse, pour s’élever au vrai modèle idéal de la beauté, à la ligne vraie ; ligne vraie, modèle idéal de beauté qui n’exista nulle part que dans la tête des Agasias, des Raphaëls, des poussins, des Pugets, des Pigals, des Falconnets ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont les artistes subalternes ne puisent que des notions incorrectes, plus ou moins approchées que dans l’antique ou dans leurs ouvrages ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie que ces grands maîtres ne peuvent inspirer à leurs élèves aussi rigoureusement qu’ils la conçoivent ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie au-dessus de laquelle ils peuvent s’élancer en se jouant, pour produire le chimérique, le sphinx, le centaure, l’hippogriphe, le faune, et toutes les natures mêlées ; au-dessous de laquelle ils peuvent descendre pour produire les différents portraits de la vie, la charge, le monstre, le grotesque, selon la dose de mensonge qu’exige leur composition et l’effet qu’ils ont à produire, en sorte que c’est presque une question vuide de sens que de chercher jusqu’où il faut se tenir approché ou éloigné du modèle idéal de la beauté, de la ligne vraie ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie non traditionelle qui s’évanouit presque avec l’homme de génie, qui forme pendant un tems l’esprit, le caractère, le goût des ouvrages d’un peuple, d’un siècle, d’une école ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont l’homme de génie aura la notion la plus correcte selon le climat, le gouvernement, les loix, les circonstances qui l’auront vu naître ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie qui se corrompt, qui se perd et qui ne se retrouveroit peut-être parfaitement chez un peuple que par le retour à l’état de Barbarie ; car c’est la seule condition où les hommes convaincus de leur ignorance puissent se résoudre à la lenteur du tâtonnement ; les autres restent médiocres précisément parce qu’ils naissent, pour ainsi dire, scavants. […] Surtout, mon ami, comme il faut que je me taise ou que je parle selon la franchise de mon caractère, Mr le maître de la boutique du houx toujours verd, obtenez de vos pratiques le serment solennel de la réticence.

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