* * * — Se trouver en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la chaleur apaisée d’une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là, à l’heure où l’esprit échappe au travail et se sauve de la journée ; causer avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes souriant à ce que vous dites ; se livrer et se détendre ; écouter et répondre ; donner son attention aux autres ou la leur prendre ; les confesser ou se raconter ; toucher à tout ce qu’atteint la parole ; s’amuser du jour présent, juger le journal, remuer le passé, comme si l’on tisonnait l’histoire, faire jaillir au frottement de la contradiction adoucie d’un : Mon cher, l’étincelle, la flamme ou le rire des mots ; laisser gaminer un paradoxe, jouer sa raison, courir sa cervelle ; regarder se mêler ou se séparer, sous la discussion, le courant des natures et des tempéraments ; voir ses paroles passer sur l’expression des visages, et surprendre le nez en l’air d’une faiseuse de tapisserie, sentir son pouls s’élever comme sous une petite fièvre et l’animation légère d’un bien-être capiteux ; s’échapper de soi, s’abandonner, se répandre dans ce qu’on a de spirituel, de convaincu, de tendre, de caressant ou d’indigné ; avoir la sensation de cette communication électrique qui fait passer votre idée dans les idées, qui vous écoutent ; jouir des sympathies qui paraissent s’enlacer à vos paroles et pressent vos pensées, comme avec la chaleur d’une poignée de main ; s’épanouir dans cette expansion de tous, et devant cette ouverture du fond de chacun ; goûter ce plaisir enivrant de la fusion et de la mêlée des âmes dans la communion des esprits : la conversation, — c’est un des meilleurs bonheurs de la vie, le seul peut-être qui la fasse tout à fait oublier, qui suspende le temps et les heures de la nuit avec son charme pur et passionnant ! […] Et peut-être, quand les chemins de fer auront rapproché les races, mêlé les idées, les frontières et les drapeaux, il viendra un jour où cette religion du xixe siècle paraîtra presque aussi étroite et petite que l’autre. […] Ainsi, n’ayant pas vécu de la vie humaine, ne s’étant point mêlée à l’homme et à la femme, et ayant cherché à tout deviner par les livres, cette génération a fait et devait faire surtout des critiques.
Ne pouvant dormir, je voulus du moins occuper agréablement mon insomnie par l’évocation de tous les souvenirs d’hommes éminents dans la littérature ou dans la politique que j’avais rencontrés, entrevus, connus ou aimés dans ma vie pendant les trente ou trente-cinq années où j’avais été plus ou moins mêlé à la foule du siècle. […] On eût dit que sa nourrice avait mêlé à son lait trop de pavots. […] Un soir je fus surpris par un grand orage mêlé de tonnerre et de vent. […] Malgré la différence d’années, ce grand homme se sentit incliné de cœur vers moi ; je me sentis élevé à lui par un respect mêlé de tendresse.
N’entend-on pas le Qui vive des gardes Qui se mêle au bruit des verrous ? […] Je n’ai pas connu Laffitte et je ne crois pas que j’eusse jamais aimé un homme dans lequel l’inconséquence et la gloriole se mêlaient, dit-on, à des qualités réelles ; mais j’ai vu de près Dupont de l’Eure dans les épreuves les plus périlleuses de 1848, et j’ai gardé de son intrépidité civique et de son patriotisme dévoué une vénération que je reporte tous les jours à sa tombe. […] La Liberté mêlait à la mitraille Des fers rompus et des sceptres brisés. […] Ces dissertations étaient en général mêlées d’anecdotes qui les rendaient vivantes. « Voilà, me disait-il, ce que je conseillais à mon ami Laffitte ; voilà ce que je confiais à Manuel, l’homme que j’ai le plus aimé parce qu’il a été, selon moi, le plus désintéressé, le plus calomnié et le plus salarié d’ingratitude ; voilà ce que j’essayais de faire comprendre à Chateaubriand, que j’aimais par admiration littéraire et dont j’avais eu la niaiserie de prendre l’amitié au sérieux, lui qui n’aimait de moi que son plaisir et ma popularité ; voilà ce que je répétais vainement à ce grand enfant de Lamennais, qui voyait partout des trappes et des traîtres de mélodrame !