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1161. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Nous poussions quelquefois jusques aux Invalides, Où, mêlés aux badauds descendus des faubourgs, Nous suivions la retraite et les petits tambours. […] Dans les bras l’un de l’autre enlacés un moment, Tous, avant de mêler à jamais leur poussière,    Font le même serment  « Toujours !  […] J’ouvrirai toutes les alcôves ; Je mêlerai mes noirs cheveux Aux crins d’or des comètes fauves En disant : — C’est moi, je te veux. » — Si quelqu’une fait la farouche Et résiste à mon rut puissant, Je baiserai si fort sa bouche Qu’elle ’aura les lèvres en sang.

1162. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Si on met les noms propres, tous éclatants au moins de jeunesse, sur chacune de ces innombrables catégories d’esprits alors en sève ou en fleur, si on y ajoute, dans l’ordre des sciences exactes (où le génie consiste à se passer d’imagination,) La Place, qui sondait le firmament avec le calcul ; Cuvier, qui sondait le noyau de la terre et qui lui demandait son âge par ses ossements ; Arago, qui rédigeait en langue vulgaire les annales occultes de la science ; Humboldt, qui décrivait déjà l’architecture cosmogonique de l’univers, et tant d’autres leurs rivaux, leurs égaux peut-être, qui négligèrent d’inscrire leurs noms sur leurs découvertes ; si on rend à tout cela le souffle, la vie, le mouvement, le tourbillonnement de la grande mêlée religieuse, politique, philosophique, littéraire, classique, romantique de la restauration, on aura une faible idée de cette renaissance, de cet accès de seconde jeunesse, de cette énergie de sève et de fécondité de l’esprit français à cette date. […] Nous lui rendons justice sous ce rapport : ni Aristophane, ni Arioste, ni Voltaire, ni Beaumarchais, ni Camille Desmoulins, ces dieux rieurs de la facétie, n’ont surpassé ce jeune Allemand dans cet art méchant d’assaisonner le sérieux de ridicule et de mêler une poésie véritable à la plus cynique raillerie des choses sacrées. […] Pardon de cette image, mais il ne s’en présente pas d’autre sous ma main pour peindre cet attrait mêlé de répulsion qui me saisit en lisant ces poésies renversées qui placent l’idéal en bas au lieu de le laisser où Dieu l’a placé, dans les hauteurs de l’âme et dans les horizons du ciel.

1163. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Imagination emportée vers le merveilleux, le surnaturel, le fantastique, il rencontra d’abord et toujours autour de lui, comme un cercle de Popilius infranchissable, tout un monde qui ne lui fit pas rebrousser chemin, — car il était vigoureux — mais qui devait contrarier, comme nous le verrons, son action spontanée, et même y mêler beaucoup de la sienne. […] … Il n’y a qu’un Américain, en effet, qui ait pu songer à mêler aux fils brouillés de sa fiction les calculs mathématiques et les probabilités de la science expérimentale. […] S’il avait plus d’imagination, il ne chausserait pas l’appareil de la technologie ; mais il s’en sert pour produire un effet dont il n’est pas dupe, et dans lequel au besoin d’art se mêle la mystification féroce de la race anglo-saxonne dont il descend.

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