Chacun des trois volumes des précédentes éditions représentait la manière de l’auteur à trois moments, et pour ainsi dire à trois âges différents ; car, sa méthode consistant à amender son esprit plutôt qu’à retravailler ses livres, et, comme il l’a dit ailleurs, à corriger un ouvrage dans un autre ouvrage, on conçoit que chacun des écrits qu’il publie peut, et c’est là sans doute leur seul mérite, offrir une physionomie particulière à ceux qui ont du goût pour certaines études de langue et de style, et qui aiment à relever, dans les œuvres d’un écrivain, les dates de sa pensée.
Tandis qu’on recommence un nouvel article, le précédent nous échappe ; nous cessons de voir les liaisons que les faits ont entre eux ; nous retombons dans la confusion à force de méthode, et la multitude des conclusions particulières nous empêche d’arriver à la conclusion générale.
Mais aujourd’hui, avec la rigueur inflexible des méthodes, avec l’instrument de précision appliqué aux phénomènes et cette chaîne serrée des lois où chaque anneau, soutenu par le précédent, soutient ceux qui le suivent, dans ce vaste déterminisme qui exclut le hasard et n’admet l’hypothèse qu’à titre provisoire, un Lucrèce est-il possible ? […] Mais bien des ressources lui manquaient pour remplir cette noble carrière qu’il voyait s’ouvrir devant lui : la science était trop jeune encore ; les esprits n’étaient pas assez familiarisés avec ses méthodes ; la langue surtout faisait défaut. […] De plus en plus les esprits s’habituent au langage de la science ; les méthodes se sont popularisées, sinon dans leurs procédés les plus subtils et les plus délicats, au moins dans quelques-unes de leurs opérations les plus simples et dans leurs instruments les plus élémentaires ; leurs principaux résultats sont admis par tous et compris dans leur généralité. […] Excellente méthode en philosophie, dangereuse en poésie.