/ 3475
1316. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Le style de l’ouvrage est d’une belle clarté et d’une rigueur philosophique qui rappelle en certaines pages d’exposition l’auteur de la Controverse chrétienne ; et il nous a semblé que celui-ci, ami des éditeurs, pourrait bien ne pas être étranger en effet à la rédaction d’un livre modeste, et dont pourtant toute plume s’honorerait. […] Le Commonitoire de saint Vincent de Lérins est un des livres les plus cités et les plus considérables de cette époque chrétienne, et dans lequel les points importants de dogme et de doctrine sont le mieux éclaircis. […] Quelque opinion qu’on garde après la lecture du livre sur la réalité de ces divisions qu’une philosophie plus forte trouverait sans doute moyen de simplifier et de réduire, ce qu’il faut reconnaître, c’est l’agréable et instructif chemin par lequel le philosophe nous a menés ; c’est cette multitude de remarques fines, judicieuses et ingénieuses, tempérées, qu’il a semées sous nos pas ; c’est ce jour si indulgent et si doux qu’il sait jeter sur la nature humaine en y pénétrant ; c’est l’émotion honnête qu’il excite en nous, tout en nous apprenant à décomposer et à observer ; ce sont les heureuses applications morales et pratiques, le choix et l’atticisme des exemples, et les fleurs d’une littérature si délicatement cultivée à travers les recherches de la philosophie.

1317. (1874) Premiers lundis. Tome II « H. de Balzac. Études de mœurs au xixe  siècle. — La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille. »

Un homme sans liste civile n’est pas tenu de vous donner des livres semblables à ceux d’un roi littéraire. […] Rousseau tué par les chagrins et par la misère… » Après avoir quelque temps continue sur ce ton,  l’auteur s’attache à une phrase échappée à M. de Custine dans son livre sur l’Espagne : « En France, dit le spirituel touriste, Rousseau est le seul qui ait rendu témoignage par ses actes autant que par ses paroles à la grandeur du sacerdoce littéraire ; au lieu de vivre de ses écrits, de vendre ses pensées, il copiait de la musique, et ce trafic fournissait à ses besoins. Ce noble exemple, tant ridiculisé par un monde aveugle, me paraît, à lui seul, capable de racheter les erreurs de sa vie… Il y a loin de la dignité d’action du pauvre Rousseau à la pompeuse fortune littéraire des spéculateurs en philanthropie, Voltaire et son écho lointain Beaumarchais… » M. de Balzac, après avoir, non sans raison, remarqué que cette sévérité contre les auteurs qui vendent leurs livres siérait mieux peut-être sous une plume moins privilégiée à tous égards que celle de M. de Custine, se donne carrière à son tour, se jette sur les contrefaçons, agite tout ce qu’il peut trouver de souvenirs à la fois millionnaires et littéraires : la conclusion est qu’à moins de devenir riche comme un fermier général, on se maintient mal aisément un grand écrivain.

1318. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Et Lamartine ? »

Les Châtiments paraîtront toujours un fort beau livre, mais non plus beau, j’imagine, que les Contemplations, les Nuits ou les Harmonies. […] Doucement élevé, en pleine campagne, par des femmes et par un prêtre romanesque, n’ayant pour livres que la Bible, Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand, il s’en va rêver en Italie et se met à chanter. […] Rappellerai-je que ce roi de l’élégie amoureuse et religieuse est aussi le poète de la Marseillaise de la paix, des Révolutions, des Fragments du livre antique ; que nul n’a plus aimé les hommes, ni annoncé avec une éloquence plus impétueuse l’Evangile des temps nouveaux ; qu’il a fait Jocelyn, cette épopée du sacrifice et le seul grand poème moderne que nous ayons ; que nul n’a exprimé comme lui la conception idéaliste de l’univers et de la destinée, et qu’enfin c’est dans Harold, dans Jocelyn et dans la Chute d’un Ange que se trouvent les plus beaux morceaux de poésie philosophique qui aient été écrits dans notre langue ?

/ 3475