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1336. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Cela fait rire aujourd’hui qu’on jouit encore plus qu’on ne s’afflige de toute la variété de vices d’une littérature sans frein et prodiguement inventive. […] Déjà, sous la fin du Directoire, on avait vu la littérature d’alors, celle qui datait de l’an iii, en train de se modifier par Lemercier, par Benjamin Constant, par Mme de Staël, qui y appartenait à cette époque. […] Rien d’analogue ne s’était encore produit au sein de la littérature impériale proprement dite ; mais, quelques années encore, et immanquablement on aurait eu quelque chose qui s’y serait essayé, même à travers les entraves. Les grandes émotions de l’Empire devaient avoir leur contre-coup et leur après-coup en littérature. « Pour moi, je l’avoue, disait un jeune colonel au spirituel M. de Stendhal, il me semble, depuis la campagne de Russie, qu’Iphigénie en Aulide n’est plus une aussi belle tragédie. » — La seconde génération de l’Empire, un peu plus tôt, un peu plus tard, devait en venir là.

1337. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Mais, un jour, un été, à une certaine saison d’ennui, après les années brillantes, cette personne, à la campagne, prend une plume, et trace, sans but arrêté d’abord, un roman ou des souvenirs pour elle, pour elle seule, ou même seulement ce sont des lettres un peu longues qu’elle écrit à des amis sans y trop songer ; et dans cinquante ans, quand tous seront morts, quand on ne lira plus l’homme de lettres de profession à la mode en son temps, et que ses trente volumes de couleur passée iront lourdement s’ensevelir dans les catalogues funèbres, l’humble et spirituelle femme sera lue, sera goûtée encore presque autant que par nous contemporains ; on la connaîtra, on l’aimera pour sa nette et vive parole, et elle sera devenue l’un des ornements gracieux et durables de cette littérature à laquelle elle ne semblait point penser, non plus que vous près d’elle. […] Vers cette époque, le goût de la société comme conversation, et celui de la littérature à titre presque d’occupation suivie, prirent une place croissante dans la vie de Mme de Rémusat. […] Mme de Rémusat avait toujours eu le goût de la littérature ; elle avait écrit de très-bonne heure avec facilité, avec agrément ; on a retrouvé d’elle de petites compositions faites à quinze ou seize ans, des nouvelles, des essais de traduction (même en vers) de quelques odes d’Horace. […] Au milieu des divers rôles, si bien remplis, de critiques, d’historiens littéraires et de biographes, il m’a semblé que c’en était encore un à prendre et à garder que celui qui aurait pour devise : introduire le plus possible et fixer pour la première fois dans la littérature ce qui n’en était pas tout à fait auparavant, c’est-à-dire ce qui se tenait surtout dans la société et qui y a vécu.

1338. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Il s’est créé depuis une douzaine d’années une jeune école d’érudits laborieux, appliqués, ardents, enthousiastes, qui se sont mis à fouiller, à défricher tous les cantons de notre ancienne littérature, à en creuser tous les replis, à rentrer jusque dans les portions les plus explorées et censées les plus connues, pour en extraire les moindres filons non encore exploités. […] qu’il y ait eu dans l’ensemble de l’œuvre, et par suite même de cette division à l’infini, bien des noms surfaits, des auteurs enflés et poussés trop haut, je le sais trop bien, et un critique qui est obligé, comme je l’ai été souvent, d’embrasser dans toute son étendue le cadre entier de notre littérature, sent plus vivement qu’un autre ces disproportions, qui choquent moins quand on prend chaque sujet isolément. […] L’esprit du règne de Charles V, réagissant en littérature et en poésie, avait créé toute une école ayant son cachet à part de science, de prudence, d’enseignement et de conseil. […] La littérature et la poésie française avait perdu la voie haute et directe du moyen âge ; elle avait donné à gauche dans un labyrinthe et un fouillis scolastique ; il fallait une grande machine un peu artificielle pour la remettre dans une large voie classique régulière, pour la reporter en masse dans une carrière pleine et ouverte, qui pût avoir une bonne issue.

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