André Sayous, déjà connu par d’excellents morceaux d’histoire littéraire, et qui vient de gagner son droit de cité en France par ce service rendu à tous les amis des saines idées politiques et des informations historiques judicieuses. […] Lorsque Linguet, jouissant des honneurs de cette persécution, vint à Genève et à Ferney, Mallet le vit et s’enrôla sous lui comme collaborateur pour les Annales politiques, civiles et littéraires. […] Sayous, un autre parrain littéraire que Linguet ; mais on ne choisit guère plus son parrain que ses parents, et on entre dans le monde, et même dans le monde littéraire, comme on peut. […] Linguet s’étant fait mettre à la Bastille en 1779, Mallet entreprit de continuer ses Annales, espèce de revue politique et littéraire, et il suffit seul au fardeau.
Arnault est assez piquant lorsqu’il parle de Monsieur, et il nous le définit bien dans sa nature et sa portée d’esprit littéraire ; pourtant il abuse un peu du droit que lui donne la proscription dont l’honora plus tard son ancien maître, lorsqu’il dit d’un ton cavalier : « Monsieur, à tout prendre, était un garçon d’esprit, mais il le prouvait moins par des mots qui lui fussent propres que par l’emploi qu’il faisait des mots d’autrui. » Est-ce de ma part une excessive délicatesse ? […] Arnault, rendu à une entière indépendance par le départ et l’émigration de Monsieur, s’abandonna avec feu à sa verve tragique et littéraire, durant ces années orageuses dont sa jeunesse trompait de son mieux le péril et les atrocités ; il nous a tracé de cette époque, en ses Souvenirs, un tableau vrai, presque amusant, sans passion et sans colère ; il en a peint à merveille quelques-uns des acteurs principaux qu’il eut occasion de rencontrer. […] Il avait été question d’Homère, de l’Odyssée, de la tragédie, de toutes sortes de choses littéraires. […] Sa vie littéraire, pour moi, finit à ce moment : non qu’il n’ait encore écrit, causé, raillé, ou même risqué des tragédies et comédies62 ; mais, si l’on excepte ses agréables Souvenirs, il n’a plus rien fait qui accroisse réellement cet héritage de choix, le seul dont la postérité se soucie. […] Arnault et qui servais alors sous des drapeaux littéraires tout différents, j’ai pu me convaincre de la réalité de l’éloge en ce qui touche le caractère.
On lui en a fait un reproche ; on a dit que c’était une exagération, que Descartes n’a pas tant de mérite littéraire, que de son temps personne ne l’avait jamais cité comme un écrivain. […] Dans une théorie littéraire qui partout fait prédominer le fond sur la forme et demande d’abord aux écrivains non comment ils ont écrit, mais comment ils ont pensé, dans cette théorie, la première place était due à celui qui nous a appris à penser, et à préférer la raison à toutes choses. […] Tel fut cependant le spectacle que donna la France il y a une trentaine d’années : elle jouait, sur des promesses incertaines et sur l’espérance de chefs-d’œuvre futurs non encore éclos, tout son passé littéraire et cette gloire même que l’Europe entière avait consacrée. […] Une foi excessive en ces deux autorités, une admiration presque superstitieuse pour ces deux écrivains, voilà ce qui, dans la doctrine littéraire de M. […] Jusqu’au moment où l’Académie s’est trouvée remplie par les hommes de génie du siècle, par ceux-là mêmes qui ont fait les chefs-d’œuvre qu’elle aurait précédés, jusque-là, dis-je, l’Académie me paraît avoir eu bien peu d’influence sur les œuvres littéraires.