Ses vues s’agrandissant, il voulut fonder à Copenhague une sorte d’athénée, y devint professeur de belles-lettres françaises, y créa une feuille périodique littéraire, une gazette manuscrite, et publia un volume de Pensées, dont une, légère de ton, alla blesser Voltaire. […] Qu’on lui ait demandé des suppressions, des modifications même en quelques endroits du texte, cela est possible et très probable ; mais il en fit qui sont sans excuse, et qui n’ont d’explication que dans son faux goût littéraire et son peu de scrupule pour l’entière vérité. […] Preuss, que le roi n’ait pas eu avec Maupertuis de correspondance véritablement amicale, familière ou littéraire. » Les 176 lettres recueillies par La Beaumelle semblaient donc venir à point pour remplir cette lacune, et je l’ai crue assez bien comblée jusqu’au moment où l’obligeance de M. […] Frédéric, même dans ses heures les plus littéraires, savait trop ce qu’il se devait à lui-même et à son rang pour s’exprimer ainsi. […] Un peuple bien élevé est facile à gouverner. » Pure invention ; pas un mot de cela chez Frédéric. — Un billet du roi, de quelques lignes, lui fournit prétexte à deux pages de réflexions (p. 365-366) sur les autres rois qui perdent leur temps de mille manières, tandis que Frédéric le perd à rimer : « Je leur pardonne de donner à la chasse, à la bonne chère, au jeu, à la représentation, plus d’heures que je n’en donne à mes amusements littéraires.
L’esprit littéraire, dans sa vivacité et sa grâce, consiste à savoir s’intéresser à ce qui plaît dans une délicate lecture, à ce qui est d’ailleurs inutile en soi et qui ne sert à rien dans le sens vulgaire, à ce qui ne passionne pas pour un but prochain et positif, à ce qui n’est que l’ornement, la fleur, la superfluité immortelle et légère de la société et de la vie. […] Sa mère était une personne supérieure que Sismondi plus tard n’hésitera pas à comparer à Mme de Staël, non pour le génie et le brillant de l’esprit ; Mme de Staël l’emportait par ces côtés : « Mais ma mère, dira-t-il dans la conviction et l’orgueil de sa tendresse, ne le cède en rien ni pour la délicatesse, ni pour la sensibilité, ni pour l’imagination ; elle l’emporte de beaucoup pour la justesse et pour une sûreté de principes, pour une pureté d’âme qui a un charme infini dans un âge avancé. » Cette mère, femme d’un haut mérite et d’un grand sens, dominera toujours son fils, influera sur lui par ses conseils, le dirigera même à l’entrée de la carrière littéraire et, le détournant tant qu’elle le pourra des discussions théoriques pour lesquelles il avait du goût, le poussera vers les régions plus sûres et plus abritées de l’histoire7. […] Enfin, les nombreux villages placés comme l’aire d’un d’un aigle entre des rochers ou sur le penchant rapide des monticules, et les habitations rapprochées qui semblent les couvrir, animent la perspective et lui donnent le coup d’œil le plus romantique… » Romantique, je saisis le mot au passage ; il donne bien la date et trahit aussi la légère intention littéraire qui venait se mêler à ces instructions d’une économie rurale positive. […] Mme d’Albany, toutefois, lui passait l’une de ces critiques plus que l’autre, et à propos de la fameuse brochure des Deux Phèdre qui souleva toute la presse littéraire de Paris en 1807, et dans laquelle la Phèdre de Racine est si complètement sacrifiée à celle d’Euripide, elle s’était exprimée avec assez de faveur. […] Mais ce qu’avait voulu le docte et impertinent Schlegel dans sa brochure, c’était surtout de se divertir avec ironie et de nous irriter, et comme il l’a dit ensuite lui-même : « C’était une expérience que je m’amusais à faire sur l’opinion littéraire, sachant d’avance qu’un orage épouvantable éclaterait contre moi. » Un autre Allemand, moins distingué et plus bizarre, un hôte de passage, le poète tragique et mystique, Zacharias Werner, qui séjourna à Coppet et qui passa ensuite par Florence, est annoncé par Sismondi à la comtesse en des termes assez piquants, et plus gais qu’on ne l’attendrait d’une plume aussi peu badine ; mais Werner y prêtait : « Werner, disait Sismondi, est un homme de beaucoup d’esprit ; — de beaucoup de grâce, de finesse et de gaieté dans l’esprit, ce à quoi il joint la sensibilité et la profondeur ; et cependant il se considère comme chargé d’aller prêcher l’amour par le monde.
Mais la fumée littéraire si subtile lui a évidemment monté au cerveau et l’a légèrement enivré ; bien traité et plus que poliment par des critiques en renom, il s’est dit qu’il était un critique littéraire lui-même, et voici en quels termes il parle ou fait parler de lui dans un Prospectus, destiné, dit-il, à la province, mais que les gens de Paris ont pu lire au passage : « M. […] Honoré Bonhomme s’est révélé au monde littéraire, et déjà il est en possession d’une notoriété assurée, disons mieux, d’une incontestable autorité. […] Honoré Bonhomme, qui depuis un certain jour « s’est révélé au monde littéraire », a commencé par dire quelques vérités qu’elle a rarement entendues… à qui ? […] Qu’on relise dans la Correspondance de Béranger les lettres de conseils littéraires donnés à Mlle Béga, et qu’on les compare à celles de Collé à son élève : on verra le côté par où Béranger est supérieur à celui qu’il appela un jour « son maître. » La vie tout entière de Béranger avait été une éducation continuelle : Collé, sous le prétexte d’un goût naturel et sain, avait trop obéi à sa paresse et n’avait pas marché.