Il les lut ; il lut surtout les Vies de Plutarque, qui, par un heureux hasard, s’y étaient mêlées. […] Quand il lisait ce volume dépareillé du Spectateur, il n’était plus dans la boutique de son père. […] Son grand souci cependant était de se procurer des livres et de se ménager du temps pour les lire, tout en faisant exactement son travail. Ayant lu vers l’âge de seize ans un livre qui recommandait de se nourrir exclusivement de végétaux, il voulut essayer de cette diète toute végétale comme plus philosophique et plus économique. Tandis que ses compagnons étaient hors de l’imprimerie pour prendre leur repas, il y faisait vite le sien qu’il préparait frugalement de ses mains, et il lisait le reste du temps, se formant à l’arithmétique, aux premiers éléments de géométrie, lisant surtout Locke sur L’Entendement humain, et L’Art de penser de Messieurs de Port-Royal.
J’ai lu de lui une analyse de la thèse de Pinès sur la « littérature judéo-allemande », analyse écourtée, bien sèche, qui fait regretter un travail plus considérable « trop subjectif, trop personnel », nous dit-on, qu’il avait consacré au même sujet. […] C’était son opinion avant la guerre ; il s’y confirme en décembre 1915, deux mois avant sa fin héroïque, « Je viens de lire la Bible. […] A leurs yeux, c’était en outre une vérité de sens commun : « On ne quitte les biens de la terre que parce qu’on en trouve de plus grands au service de Dieu. » Roger Cahen, qui aimait lire Virgile dans sa tranchée, aurait pu prendre pour devise Trahit sua quemque voluptas. […] C’est vrai qu’il est différent, mais comment le lire sans l’aimer, ce jeune intellectuel, mort à vingt-cinq ans pour la France ! […] On me dit : « Vous avez fait voir des Israélites d’exception, nouvellement venus parmi nous ou bien grands intellectuels », et l’on me donne à lire la correspondance du capitaine Raoul Bloch, tué le 12 mai 1916 devant Verdun, qui appartenait au monde des affaires.
Martial a dit dans une excellente épigramme, en s’adressant au lecteur épris des belles tragédies et des poëmes épiques de son temps : « Tu lis les aventures d’Œdipe, et Thyeste couvert de soudaines ténèbres, et les prodiges des Médées et des Scyllas ; laisse-moi là ces monstres… Viens-t’en lire quelque chose dont la vie humaine puisse dire : Cela est à moi. […] … Nos petites pièces, au moins, sont exemptes de toute ampoule ; notre muse ne se renfle pas sous les plis exagérés d’une creuse draperie. — Mais, diras-tu, ce sont pourtant ces grands poëmes qui font honneur dans le monde, qui vous valent de la considération, qui vous classent. — Oui, j’en conviens, on les cite, on les loue sur parole, mais on lit les autres : Confiteor : laudant illa, sed ista legunt. » Ainsi, qu’a-t-on lu l’autre jour ? […] On sait les vers de Voltaire. — Voir encore sur lui le jugement de d’Alembert et ses propres lettres dans le volume intitulé Correspondance inédite de madame Du Deffand (2 vol., 1809) ; l’opinion de d’Alembert sur le président s’y peut lire au tome I, pages 232 et 251.