Et voici l’histoire qu’il avait entrepris de conter, tournée en langage moderne : l’amant, en son jeune âge, suivant la pente de sa vie oisive et libre, rencontre la dame jeune et belle, dont il s’éprend. […] Mais l’usage de l’instinct crée le mérite et le démérite : l’homme est libre, et, selon sa science, choisit entre les actes que son instinct lui suggère ; s’il suit la nature et l’Évangile, qui en termes différents lui font le même commandement, la nature l’avertissant de travailler pour l’espèce, l’Évangile lui enjoignant de se dévouer au prochain, il se désintéressera ; il éloignera l’ambition, l’avarice, la volupté, l’égoïsme : il sera doux, humble, charitable, et s’efforcera de vaincre par l’amour les misères sociales.
De la fête des fous laïcisée par force, il ne subsista que le principe, l’idée d’un monde renversé qui exprimerait en la grossissant la folie du monde réel : c’est ce que développèrent au gré de leur libre fantaisie nombre de sociétés joyeuses, comme Mère folle à Dijon, et les Sots de Paris. […] Mais comme le paysan assiste règlement au prône, il s’amusera sûrement d’une harangue grossière, où il retrouvera les phrases, les citations, le ton de son curé : et plus le sujet sera libre et ordurier, plus le contraste de la forme dévote lui paraîtra piquant.
La Bruyère est un bourgeois de Paris : un libre esprit, sans préjugé de caste ni respect traditionnel, très peu révolutionnaire, mais satirique et frondeur, peu porté à l’indulgence envers les puissants et les puissances : un esprit indépendant, ayant horreur de tous les engagements, qui, pour ne pas diminuer sa liberté, a renoncé à tous les biens, à la fortune, aux emplois, même à la famille ; car une femme, des enfants, rendent le renoncement difficile : a-t-on le droit de se passer de tout pour eux, comme pour soi ? […] Amour-propre, esprit de domination, intolérance, idées réactionnaires en politique, ultramontaines en religion, théories larges et incohérentes, pratique souvent étroite et dure, raison flottante, logique douteuse, fureur d’avoir le dessus plutôt que d’avoir raison : tout cela est dans Fénelon ; et cela n’empêche pas de l’aimer ; tout cela n’empêche pas même de lui trouver un certain air libre et libéral, qui le rapproche de nous.