/ 1472
5. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

Le français, depuis son origine, a vécu sous la tutelle du latin. Sa naissance a été latine ; son éducation a été latine ; et jusque pendant sa maturité, si on doit supposer qu’il la vit depuis trois siècles, l’appui et les conseils du latin l’ont suivi pas à pas : le latin a toujours été la réserve et le trésor où il a puisé les ressources qu’il n’osait pas toujours demander à son propre génie. […] Il est très probable qu’il serait devenu presque entièrement monosyllabique, suivant sa tendance initiale toujours combattue par la présence du latin, et d’un latin particulier dont la tendance contraire allongeait les mots par l’accumulation des suffixes. […] Jules Lemaître, les petits-fils de Vercingétorix s’avisèrent que le cette était une langue sans utilité commerciale ; ils apprirent le latin très volontiers. […] Jules Lemaître juge ainsi que du temps perdu les années passées au collège à « ne pas apprendre le latin »  ; mais il ne s’agit pas d’apprendre le latin : il s’agit de ne pas désapprendre le français.

6. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

. — Le latin réservoir naturel du français. […] Or, à ce moment, le français paraissait aussi pauvre en termes abstraits que le latin classique, tandis que le latin du moyen âge, enrichi de toute la terminologie scolastique6, était devenu apte à exprimer, avec la dernière subtilité, toutes les idées ; ce latin médiéval a versé dans le français toutes ses abstractions ; la philosophie et toutes les sciences adjacentes s’écrivent toujours dans la langue de Raymond Lulle. […] D’ailleurs les mots les plus servilement latins sont les moins illégitimes parmi les intrus du dictionnaire. […] Sur ce que le français doit au latin scolastique, voir l’introduction du Dictionnaire général de Hatzfeld et Darmesteter. […] Du latin innocentem le peuple aurait fait ennuisant.

7. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 37, que les mots de notre langue naturelle font plus d’impression sur nous que les mots d’une langue étrangere » pp. 347-350

Dès que les vers latins font plus d’impression sur nous que les françois, il s’ensuit donc que les vers latins sont plus parfaits et plus capables de plaire que les vers françois. Les vers latins n’ont pas naturellement le même pouvoir sur une oreille françoise qu’ils avoient sur une oreille latine. […] Ils disent tous que les vers françois leur font moins de plaisir que les vers latins, quoique la pluspart ils aïent appris le françois avant que d’apprendre le latin. […] En supposant que le poëte françois et le poëte latin aïent traité la même matiere, et qu’ils aïent également réussi ; les françois dont je parle trouvent plus de plaisir à lire les vers latins. […] Il faut donc qu’il se rencontre dans les vers latins une excellence qui ne soit pas dans les vers françois.

/ 1472