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364. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Daignons donc nous bien figurer l’effet que devaient produire de telles représentations, réglées en quelque sorte sur l’hymne, contenues au sanctuaire, graves, pathétiques, touchantes et toujours augustes, — je ne dis pas précisément sur le peuple, il ne comprenait que l’ensemble, le mouvement et la mimique en quelque sorte, l’image majestueuse des choses, il ne savait pas les langues savantes, — mais sur tout ce qui était clerc et lettré. […] Ce témoignage sincèrement rendu à ce qu’on appelle le haut moyen âge, il faut voir le drame religieux se détachant par degrés de l’autel, traduit, délayé en langue vulgaire (et bien vulgaire en effet) ; il nous paraîtra déchu. […] C’est ainsi que, par degrés, on en vient aux drames les plus anciens composés d’un bout à l’autre en langue vulgaire ; et, dès ce moment, on sort tout à fait du sanctuaire et même de l’église. […] Ce drame, dont la composition remonte au xiie  siècle, est au premier rang parmi les très-rares échantillons que l’on possède du drame purement religieux, — ou hiératique comme disent les savants, — en vieille langue française. […] On comprend très-bien que ce n’est plus ici le drame en langue vulgaire qui essaye d’entrer timidement dans l’église et de s’y faire tolérer en se faufilant tant bien que mal à travers le latin, c’est la liturgie cette fois qui sort du sanctuaire : pour, aller au-devant du drame, pour lui donner comme une première consécration, et bénédiction sur la place publique.

365. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

N’oublions pas l’état de la langue sous Richelieu et le travail qui était en train de s’accomplir. On sortait de la langue du xvie  siècle : que cette prose de Rabelais, de Montaigne, de d’Aubigné et de tant d’autres, fût en partie très regrettable et préférable même à celle qu’on essayait de former, ce n’était pas la question, puisque la société n’en voulait plus et prétendait, depuis Malherbe, s’en composer une moderne, plus choisie et toute réformée à son usage. […] Voilà de quoi nous égayer si nous voulions ; mais respectons plutôt ces soins innocents et ces scrupules qui préparaient la plus noble des langues. […] Il y avait deux hommes dans Patru, celui des jours solennels, des plaidoyers et des harangues, à qui l’on s’adressait quand on avait besoin d’une belle épître dédicatoire, d’une belle préface, d’une belle inscription laudative, d’un placet à la reine ; on allait alors à Patru comme on irait à un écrivain public, à un calligraphe qui a une belle main : il avait une belle langue. […] J’aime la gloire, à la vérité, mais je l’aime d’amitié et non pas d’amour ; et je préfère le cœur d’Amarante à toutes les langues de la renommée.

366. (1923) Paul Valéry

C’est tout simplement qu’il connaît la langue des vers mieux que les autres langues. […] Valéry s’exprimait dans la langue des vers parce qu’il croyait la connaître mieux que les autres langues. Des demandes pressantes, voire des commandes, auxquelles, en nos dures années matérielles d’après-guerre, il fallait satisfaire, l’amenèrent à essayer d’une autre langue. […] Et il se trouva qu’il réussissait admirablement en cette autre langue, à laquelle son démon continuait à ne pas le contraindre. […] Allons même plus loin que la chance, et disons liberté : liberté dévolue au pur poète d’affecter chaque mot de la langue commune d’un exposant pris à la langue propre du poète, et que son art lui permette d’imposer au lecteur.

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