Daignons donc nous bien figurer l’effet que devaient produire de telles représentations, réglées en quelque sorte sur l’hymne, contenues au sanctuaire, graves, pathétiques, touchantes et toujours augustes, — je ne dis pas précisément sur le peuple, il ne comprenait que l’ensemble, le mouvement et la mimique en quelque sorte, l’image majestueuse des choses, il ne savait pas les langues savantes, — mais sur tout ce qui était clerc et lettré. […] Ce témoignage sincèrement rendu à ce qu’on appelle le haut moyen âge, il faut voir le drame religieux se détachant par degrés de l’autel, traduit, délayé en langue vulgaire (et bien vulgaire en effet) ; il nous paraîtra déchu. […] C’est ainsi que, par degrés, on en vient aux drames les plus anciens composés d’un bout à l’autre en langue vulgaire ; et, dès ce moment, on sort tout à fait du sanctuaire et même de l’église. […] Ce drame, dont la composition remonte au xiie siècle, est au premier rang parmi les très-rares échantillons que l’on possède du drame purement religieux, — ou hiératique comme disent les savants, — en vieille langue française. […] On comprend très-bien que ce n’est plus ici le drame en langue vulgaire qui essaye d’entrer timidement dans l’église et de s’y faire tolérer en se faufilant tant bien que mal à travers le latin, c’est la liturgie cette fois qui sort du sanctuaire : pour, aller au-devant du drame, pour lui donner comme une première consécration, et bénédiction sur la place publique.
N’oublions pas l’état de la langue sous Richelieu et le travail qui était en train de s’accomplir. On sortait de la langue du xvie siècle : que cette prose de Rabelais, de Montaigne, de d’Aubigné et de tant d’autres, fût en partie très regrettable et préférable même à celle qu’on essayait de former, ce n’était pas la question, puisque la société n’en voulait plus et prétendait, depuis Malherbe, s’en composer une moderne, plus choisie et toute réformée à son usage. […] Voilà de quoi nous égayer si nous voulions ; mais respectons plutôt ces soins innocents et ces scrupules qui préparaient la plus noble des langues. […] Il y avait deux hommes dans Patru, celui des jours solennels, des plaidoyers et des harangues, à qui l’on s’adressait quand on avait besoin d’une belle épître dédicatoire, d’une belle préface, d’une belle inscription laudative, d’un placet à la reine ; on allait alors à Patru comme on irait à un écrivain public, à un calligraphe qui a une belle main : il avait une belle langue. […] J’aime la gloire, à la vérité, mais je l’aime d’amitié et non pas d’amour ; et je préfère le cœur d’Amarante à toutes les langues de la renommée.
C’est tout simplement qu’il connaît la langue des vers mieux que les autres langues. […] Valéry s’exprimait dans la langue des vers parce qu’il croyait la connaître mieux que les autres langues. Des demandes pressantes, voire des commandes, auxquelles, en nos dures années matérielles d’après-guerre, il fallait satisfaire, l’amenèrent à essayer d’une autre langue. […] Et il se trouva qu’il réussissait admirablement en cette autre langue, à laquelle son démon continuait à ne pas le contraindre. […] Allons même plus loin que la chance, et disons liberté : liberté dévolue au pur poète d’affecter chaque mot de la langue commune d’un exposant pris à la langue propre du poète, et que son art lui permette d’imposer au lecteur.