Si elle tint quelque temps l’épée comme une guerrière, elle a beaucoup produit la plume à la main : non seulement elle a laissé des Mémoires intéressants et très véridiques, dont on a dit « qu’ils sont assez mal écrits pour que l’on puisse s’assurer qu’ils sont d’elle », mais on a encore de sa façon de petits romans, des portraits, des lettres. […] Elle n’avait pu se décider encore pour le choix d’un mari, et, dans son désir d’une couronne, elle laissait échapper ce qui s’offrait et qui était sous sa main, pour se prendre à des impossibilités lointaines. […] Mademoiselle eut de grandes satisfactions d’amour-propre durant ce séjour : « Le peuple de Paris, dit-elle, m’a toujours beaucoup aimée, parce que j’y suis née et que j’y ai été nourrie : cela leur a donné un respect pour moi et une inclination plus grande que celle qu’ils ont ordinairement pour les personnes de ma qualité. » Il résultait de cette exception des Parisiens en sa faveur qu’on laissa partir ses équipages pour Saint-Germain, et que, tandis que la reine et le roi manquaient de tout, elle avait tout ce qui lui plaisait, et qu’elle ne manquait de rien. […] Le difficile était de le lui faire comprendre, car le respect dans lequel se retranchait Lauzun n’y laissait guère d’accès.
Comme saint Augustin en son temps, M. de Maistre est singulièrement ingénieux à justifier la Providence, à l’interpréter et à la démontrer dans et par les calamités même qu’elle laisse éclater et régner. […] Bien au contraire, ce fut le roi de Sardaigne, quand il en fut informé, qui lui en sut un gré médiocre ; et il faut lire, à ce sujet, la très belle lettre, non pas de justification ni d’apologie (il les laisse à ceux qui en ont besoin), mais d’explication et d’éclaircissement, que M. de Maistre adresse à un personnage important de la petite cour de Cagliari. […] Après 1815, quand la maison de Savoie est rétablie dans son antique héritage, M. de Maistre, à la veille de rentrer dans sa patrie, mais lésé lui-même dans sa fortune et à peu près ruiné dans son patrimoine, ne forme plus que le vœu du patriarche ; il nous laisse voir l’unique fond de son désir au milieu de cet ébranlement de l’Europe, où le volcan ne se ferme d’un côté que pour se rouvrir d’un autre : « Ma famille, mes amis et mes livres suffisent aux jours qui me restent, et je les terminerais gaiement si cette famille ne me donnait pas d’affreux soucis pour l’avenir. » Faisant allusion à cette vivacité qu’il portait volontiers en tout, et dont il ne prétend pas s’excuser : Cependant, écrivait-il à un ami, si j’avais le plaisir de vivre quelque temps avec vous sous le même toit, vous ne seriez pas peu surpris de reconnaître en moi le roi des paresseux, ennemi de toute affaire, ami du cabinet, de la chaise longue, et doux même jusqu’à la faiblesse inclusivement ! […] On le voit, dans une lettre à l’un de ses beaux-frères, accepter les réprimandes de plus d’un genre sur des jeux de mots, sur « certaines tournures épigrammatiques qui tiennent de la recherche » : « Je suis fâché de n’avoir point d’avertisseur à côté de moi, car je suis d’une extrême docilité pour les corrections. » Cela était vrai, et, quand on l’imprimait, il se laissait volontiers corriger par celui en qui il avait mis sa confiance.
Cette fin prématurée doit disposer à quelque indulgence pour un homme d’un esprit ferme et brillant, que la société avait beaucoup distrait, que la Révolution avait jeté dans l’exil, et qui n’a pu mener à fin de grands projets d’ouvrages, sur lesquels il a mieux laissé pourtant que des promesses. […] Son goût pourtant était trop sensible et trop amoureux pour ne pas laisser éclater hautement ce qu’il éprouvait. […] On a supprimé les dates, les divisions des articles ; on a même supprimé des transitions ; on a supprimé enfin les épigraphes que chaque morceau portait en tête, et qui, empruntées d’Horace, de Virgile, de Lucain, attestaient jusque dans la polémique un esprit éminemment orné : Rivarol, même en donnant des coups d’épée, tenait à ce que la poignée laissât voir quelques diamants. […] Si vous voulez qu’un grand peuple jouisse de l’ombrage et se nourrisse des fruits de l’arbre que vous plantez, ne laissez pas ses racines à découvert… Pourquoi révéler au monde des vérités purement spéculatives ?