C’est le jugement de M. Lucas-Montigny, et, au sortir d’une lecture si pleine d’impressions contraires, dont quelques-unes sont rebutantes et pénibles, je me plais à m’appuyer de ce jugement et à le répéter. […] Les jugements que Mirabeau portait sur les écrivains de son temps tendraient également à montrer qu’il n’était point précisément des leurs, et que sa supériorité aspirait à une autre sphère pour s’y déployer. […] Il reste avec eux tous dans les à-peu-près ; il n’apporte point en ces sortes de jugements ce soin exact et jaloux qui dénote l’émule et l’homme du métier.
Jeune, actif, d’un jugement net et fin, en relation de famille avec ce qu’il y avait de plus noble dans les Pays-Bas autrichiens et à la cour de Vienne, il se trouva du premier jour très bien introduit à celle de Versailles, des mieux placés pour observer et s’y plaire ; il fut particulièrement de la société de la Dauphine, bientôt reine, Marie-Antoinette. […] Droz avait fait usage de ces notions avec beaucoup de sagacité et de jugement, dans le tome IIIme de ses Considérations sur le règne de Louis XVI. […] Les trois principaux personnages en jeu sont la reine, Mirabeau et le comte de La Marck lui-même, ce dernier bien digne d’être associé aux deux autres par son jugement excellent, sa finesse et sa fermeté d’observation, sa connaissance des hommes et des choses, par son dévouement au malheur d’une reine et à l’amitié d’un grand homme, et qui justifie pleinement aujourd’hui aux yeux de la postérité ce qu’il écrivait un jour à Mirabeau : « Dieu ne m’a mis sur la terre que pour aimer et surveiller votre gloire. » Rien, en effet, de plus honorable pour la réputation politique de Mirabeau que le contenu de ces diverses notes et l’esprit général qui les anime. […] Le jugement est tenté de se reverser du côté des idées solennelles et vastes qu’on exprime si bien et avec tant d’applaudissement.
Certes, à tout prendre, et surtout pour les contemporains, c’était quelqu’un que M. de La Harpe, et je crois l’avoir assez fait sentir dans mon premier jugement. […] Quelque jugement qu’on porte sur ce genre d’émotion singulière que confesse ici La Harpe et qui rappelle beaucoup d’autres exemples analogues dans l’ordre spirituel, on n’en saurait suspecter la sincérité, et il est dommage que sa conduite n’ait pas mieux répondu dans la suite à une révolution de cœur décrite d’une manière si touchante. […] La Harpe nous est représenté à dîner chez un riche banquier, un peu avant le dessert ; il est dans cette disposition heureuse de cœur et d’estomac qui porte à l’indulgence : rien de ce qu’il aimait n’avait manqué au repas ; il était réconcilié avec les hommes ; il aurait trouvé de l’esprit à Saint-Ange, du jugement à Mercier, de la décence à Rétif, de la douceur de caractère à Blin de Sainmore ; enfin, il aurait accordé du talent à d’autres qu’à lui, quand tout à coup il se lève de table et disparaît : Après une assez longue absence, la maîtresse de la maison le fait chercher : on ne le trouve point. […] Il y donna pêle-mêle au public ses erreurs mêmes, ses jugements sur le prochain, toutes ses médisances de libre critique, en y retranchant très peu de chose.