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806. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Quelle joie aimable le jour où il prend possession de l’Ermitage, sous les yeux de Mme d’Epinay ! […] Sous les personnages qu’il a figurés et les vicissitudes de sa vie, on retrouve un fond constant d’indépendance effrénée, un quant à soi impérieux et tenace, une joie d’oiseau sauvage à se saisir à tout pour s’évader de tout. […] On voudrait ici en rappeler la beauté, répéter avec les temps les plus illustres du genre humain, que l’amour n’est pas la seule direction des enthousiasmes virils, ni la sensibilité aux joies et aux douleurs des individus, la plus noble espèce de sensibilité. […] Mais « l’ivresse brutale lui causait… un besoin inextinguible des joies de l’âme » et il « cherchait vainement la cause de ces larmes qui tombaient au fond de sa coupe dans le festin »132… Dans une crise d’alcoolisme il tue sa maîtresse à coups de bouteille ; il n’y avait pas dix secondes qu’il s’était passé en lui « quelque chose d’inconnu jusqu’alors », qu’il avait eu, « au milieu des fumées de l’ivresse, la révélation des sympathies auxquelles toute nature saine aspire…, qu’un monde nouveau était passé comme une vision entre deux flacons de vin. » Condamné au bagne, il en sort transfiguré, comme le Christ du tombeau, plus haut placé dans la vie morale qu’aucun de nous ! 

807. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Si vous voulez, nous la lirons ensemble le premier jour de promenade au mont Colombier ; on nous y porte à dîner à cause de la distance, et nous aurons le temps de la lire en liberté et en solitude, entre le dîner et le retour. » Nous acceptâmes le rendez-vous avec joie, et nous attendions avec impatience que le jour de la longue promenade au mont Colombier fût ramené par la saison. […] Des vieillards, des femmes, des enfants, les entouraient ; j’entendais le murmure confus de la joie ; je voyais entre les arbres les couleurs brillantes de leurs vêtements, et ce groupe entier semblait environné d’un nuage de bonheur. […] En la voyant languir et se détruire chaque jour, j’observais avec une joie funeste s’approcher la fin de ses souffrances.

808. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Çà et là quelques chefs-d’œuvre : des souvenirs des Feuillantines, charmants de pittoresque ému ; la Tristesse d’Olympio, si paisible en somme et si peu désespérée dans l’antithèse de nos joies éphémères et de l’éternelle impassibilité de la nature, presque consolée par le déploiement des formes magnifiques Que la nature prend dans les champs pacifiques ; enfin cette fantaisie, Écrit sur la vitre d’une fenêtre flamande, où l’artiste se plaît à montrer par un court et triomphal exemple ce que son imagination sait faire des mots et du rythme. […] « Vive le mélodrame où Margot a pleuré. » Il n’eut donc souci que de dire les joies et les tristesses de son âme. […] Il a le don de rapetisser, d’enniaiser tous les grands sujets, quand il y touche : la religion, par son Dieu des bonnes gens, ami de la joie et tendre aux mauvais sujets, par son agaçante conception d’un christianisme de pacotille qui met à l’aise tous les instincts matériels, par ses curés bénisseurs et bons vivants dont la perfection suprême est de ne pas être des gêneurs ; — le patriotisme, par un chauvinisme de méchant aloi, par l’exploitation fastidieuse de la gloire napoléonienne, avilie, vulgarisée, réduite aux puériles légendes de la redingote grise et du petit caporal ; — l’amour, par une sentimentalité frelatée, un mélange de grivoiserie et d’attendrissement qui exclut à la fois l’intensité de la passion sensuelle et la hauteur du sentiment moral ; — la morale, par une étroite et basse conception de la vie, mesquine dans la vertu, mesquine dans la jouissance, bien aménagée en un confortable égoïsme sans excès et sans danger.

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