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1645. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Il réforme son costume : Je quittai, dit-il, la dorure et les bas blancs ; je pris une perruque ronde ; je posai l’épée ; je vendis ma montre en me disant avec une joie incroyable : Je n’aurai plus besoin de savoir l’heure qu’il est. […] Mais il est certain que le succès du Devin a été une des grandes joies de Rousseau. […] Jugeant qu’un homme doit croire en Dieu et, pour le reste, suivre la religion de sa patrie, il s’en va à Genève pour y rentrer publiquement dans la religion protestante et y reprendre son titre de citoyen ; et il a la joie de revenir en triomphateur dans cette ville d’où il s’était échappé, vagabond de seize ans, vingt-six années auparavant. […] Je ne doute pas que cette agréable réunion des deux termes de la vie humaine ne donnât à cette assemblée un certain coup d’œil attendrissant, et qu’on ne vît quelquefois couler dans le parquet des larmes de joie et de souvenir, capables d’en arracher à un spectateur sensible… Je voudrais que tous les ans, au dernier bal, la jeune personne qui, durant les précédents, se serait comportée le plus honnêtement et aurait plu davantage à tout le monde, fut honorée d’une couronne par la main du magistrat, et du titre de reine du bal, qu’elle porterait toute l’année.

1646. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Dans L’École des femmes, Molière soutient encore qu’il faut donner une éducation libérale et généreuse aux jeunes filles ; mais il ne montre plus — et c’est assez le contraire même — une jeune fille épousant avec joie un quadragénaire. […] Arnolphe s’emporte en paroles amères : Après ce beau discours, toute la confrérie Doit un remerciement à Votre Seigneurie ; Et quiconque voudra vous entendre parler Montrera de la joie à s’y voir enrôler. […] Il y abandonne tout entier Harpagon parce que c’est un sot qui n’est pas honnête homme ; il y abandonne tout entier Arnolphe parce qu’Arnolphe a commis deux crimes, celui d’abêtir une petite fille et celui, vieux, de vouloir épouser une jeune fille ; il y abandonne presque tout entier George Dandin, parce que George Dandin a commis la mauvaise action d’épouser une jeune fille sans s’être inquiété de son consentement ; et encore comme George Dandin n’est pas tout à fait un coquin il met dans sa bouche au moins des paroles de remords : « Tu l’as voulu, George Dandin… » Mais à ses sots qui sont de très honnêtes gens il ne manque pas de donner des paroles en effet de braves gens, sensibles et tendres, qui sont pour les rendre sympathiques, qui sont pour que l’on n’emporte pas d’eux une impression qui ne soit que de ridicule ; il fait dire à Orgon : Oui, c’est bien dit : allons à ses pieds3 avec joie Nous louer des bontés que son cœur nous déploie.

1647. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Ce brave homme, nommé Granchamp, avait suivi partout le chef de la famille dans les guerres et dans ses travaux de finances ; il avait été son écuyer dans les unes et son secrétaire dans les autres ; il était revenu d’Allemagne depuis peu de temps, apprendre à la mère et aux enfants les détails de la mort du maréchal, dont il avait reçu les derniers soupirs à Luzzelstein ; c’était un de ces fidèles serviteurs dont les modèles sont devenus trop rares en France, qui souffrent des malheurs de la famille et se réjouissent de ses joies, désirent qu’il se forme des mariages pour avoir à élever de jeunes maîtres, grondent les enfants et quelquefois les pères, s’exposent à la mort pour eux, les servent sans gages dans les révolutions, travaillent pour les nourrir, et, dans les temps prospères, les suivent et disent : « Voilà nos vignes », en revenant au château.

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