/ 1682
1638. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

L’estime que l’artiste a toujours et d’abord prétendue, c’est celle de ses pairs, sinon de ses rivaux ; et quand elle lui manque, on a beau dire, il n’y a pas de popularité dont l’incompétence ne gâte les joies qu’elle lui donne. […] Deux assiettes suivaient, dont l’une était ornée D’une langue en ragoût, de persil couronnée ; L’autre, d’un godiveau tout brûlé par dehors, Dont un beurre gluant inondait tous les bords… Ou bien encore : T’ai-je fait voir de joie une belle animée Qui souvent, d’un repas sortant tout enfumée, Fait, même à ses amans, trop faibles d’estomac, Redouter ses baisers pleins d’ail et de tabac ? […] Avant tout, la peinture est une joie des yeux.

1639. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Non seulement alors il n’est plus question que de lui dans son œuvre, — de ses chagrins et de ses joies, de ses amours et de ses rêves, — mais, sous prétexte de se développer dans le sens de ses aptitudes, il n’y a plus rien qu’il respecte ou qu’il épargne, s’il n’y a plus rien qu’il ne se subordonne, ce qui est, pour le dire en passant, la vraie définition de l’immoralité. […] Ayant fait de la vie deux parts, dont ils ont abandonné l’une, la plus extérieure, au courant rapide et changeant de l’actualité, mais dont ils avaient secrètement engagé l’autre à la religion de la science ou de l’art, ils n’ont point connu les joies tumultueuses de la popularité, mais ils n’en ont pas non plus éprouvé l’inconstance ; ils ne l’éprouveront pas ; et parce qu’ils ont écarté de leur œuvre l’élément passionnel, ni leur art n’a connu l’hésitation ou le trouble, ni leur talent ne les a quittés avec leur jeunesse. […] Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours ; et, comme Hugo, Lamartine entendait par là qu’une divinité bienfaisante avait semé le ciel d’étoiles et la terre de fleurs pour la joie de nos yeux. […] Roi de l’espace et des « mers sans rivages » quand l’Albatros : Vole contre l’assaut des rafales sauvages, il ne saurait le dire, mais l’orgueil de la lutte et la joie de la victoire se lisent dans la sûreté de son coup d’aile.

1640. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Mais ce qui paraissait plus démontré que tout le reste, et ce qui faisait la joie des rares spinozistes et des nombreux cartésiens d’alors, de Fontenelle, par exemple, et de Bayle, c’était l’impossibilité d’accorder la raison et la foi, ou, en d’autres termes, l’échec de l’œuvre à laquelle il semblait que le xviie  siècle se fût particulièrement employé. […] Représentons-nous l’arrivée dans les villes, à Narbonne ou à Toulouse, par un chaud après-midi d’été, les gamins accourus pour voir passer « les montreurs de jeux », le coup d’œil curieux et défiant de l’artisan au seuil de sa boutique ou de la bourgeoise à sa fenêtre ; et le soir, les nuitées à l’auberge, le compagnonnage et la promiscuité, la grosse joie de la troupe attablée pour fêter une belle recette ; ou bien encore, le lendemain, si l’on a reçu des pommes cuites, comme cela ne laisse pas d’arriver quelquefois, la fuite au petit jour, avec la rage au cœur, qui s’exhale en récriminations réciproques, et bien souvent, en plus, l’incertitude de savoir où l’on ira coucher et de quoi l’on soupera.

/ 1682