/ 1962
1909. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Le plus souvent, en effet, et selon le mouvement naturel de l’intelligence en action, — que l’on développe une doctrine par les idées ou que l’on amplifie par les mots un lieu commun, — c’est du général au particulier, c’est de l’abstrait au concret, c’est de la maxime à l’application, c’est de l’idée proprement dite à l’image, et de ce qui ne serait intelligible enfin que pour quelques-uns à ce que l’esprit le plus obtus pourra comprendre, que le développement ou l’amplification oratoires déroulent, anneau par anneau, la longue chaîne de leurs raisons ou la longue série de leurs phrases. […] Mais séduire, c’est conquérir à sa personne ceux-là même dont on n’a pu ni remuer assez profondément les passions ni soumettre l’intelligence. […] Ce n’est pas précisément ce qu’on appelle un grand critique ; cet homme de beaucoup d’esprit manque d’intelligence ; il ne voit pas très loin, et, par conséquent, il ne voit pas toujours très juste ; ses principes sont de ceux que l’on emporte du collège plutôt que de ceux que l’on se fait soi-même par l’étude, par la comparaison, par l’expérience ; un don précieux, surtout, lui a été refusé, celui de reconnaître les divers aspects des choses et, si je puis parler ce langage mathématique, le nombre et la diversité des solutions qu’en littérature, comme partout, une même question peut recevoir. […] Mme d’Épinay est chargée de les collectionner, de prendre copie de toutes celles qui ne lui sont pas personnellement adressées et d’intercaler quelques-unes des siennes dans la série de la Correspondance ; — crainte sans doute que le lecteur, ébloui de tant d’esprit, ne puisse pas autrement soutenir une lecture trop forte pour les intelligences vulgaires.

1910. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Que de hautes intelligences, que de fières consciences parties pour le grand voyage de la vie ont fait naufrage au sortir du port contre l’écueil du faux ménage et y ont sombré pour jamais ! […] Véritablement elle avait une intelligence adorable des troubles qui devaient traverser celui qu’elle aimait. […] Caro d’avoir eu le courage de pousser un cri d’espoir et de nous montrer, une fois de plus, que s’il est des sectes désespérées qui ne marchent qu’en regardant la terre et la matière, il est encore des phalanges de philosophes qui, croyant en Dieu, comme Platon, Montaigne, Pascal, Bossuet, Cuvier, Victor Hugo, Michelet et tant de hautes intelligences, regardent le ciel en devinant qu’il y a autre chose plus grand que le néant au fond de ses abîmes IV.

1911. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

La première question à étudier est donc celle-ci : comment Montesquieu, Rousseau, Voltaire concevaient-ils la patrie ; comment l’aimaient-ils ; qu’est-ce qu’elle était pour leur intelligence, pour leur raison et pour leur cœur  ? […] Et cette horreur pour le groupement des idées, des opinions, des tendances, des intérêts, cette horreur pour les fédérations de volontés, est telle chez Rousseau que, nous l’avons vu, quand bien même une opinion aurait la majorité, si elle est inspirée par une fédération d’intelligences et de volontés, il ne la tient pas pour la volonté générale, elle est pour lui non avenue : « Quand une de ces associations est si grande qu’elle l’emporte sur toutes les autres… Alors il n’y a plus de volonté générale, et l’avis qui l’emporte est un intérêt particulier. » — Mais si cet avis est, comme vous le supposez, l’avis de la majorité des citoyens, il est bien la volonté générale. […] Etat dans l’Etat, un parti, car c’est une fédération de sentiments d’intelligence et de volontés. […] Ils ont été, comme il est assez naturel, de l’opinion de la majorité de la nation, mais avec beaucoup plus d’intelligence et de libéralisme que cette majorité ; et ils ont été très indépendants à l’égard du pouvoir central, très fermes à l’égard des prétentions et empiètements du Saint-Siège, très soucieux des libertés publiques et très patriotes.

/ 1962