De là, sans parler des raisons politiques et de l’instinct national, le peu de succès que trouvèrent chez nous les jésuites, avec leur religion aimable, fleurie, assoupissante, et le succès au contraire que trouva le jansénisme330. […] Louis XIV a pris en haine ces indociles, dont la résistance choque son instinct d’absolue autorité. […] Ils ont eu raison même absolument, en dehors de tout dogme, du seul point de vue de la conscience, lorsqu’ils ont rétabli la lutte incessante, obstinée contre l’instinct et l’intérêt, l’inquiétude de tous les instants, comme les conditions de la moralité, et qu’aux décisions des directeurs complaisants ils ont opposé leur rigorisme, l’obligation, dans tous les cas douteux, de choisir le parti le plus dur, et de décider contre l’égoïsme, par la seule raison qu’il est l’égoïsme. […] Voltaire disait encore qu’il estimerait moins les Provinciales si elles avaient été écrites après les comédies de Molière : on comprendra ce jugement paradoxal, si l’on regarde avec quelle puissance expressive, quel sens du comique, et quel sûr instinct de la vie, sont dessinées les physionomies des personnages que Pascal introduit ; deux pères jésuites surtout, subtils et naïfs, celui dont l’ample figure occupe la scène de la 5e à la 10e lettre, et celui dont la vive esquisse illumine la 4e Provinciale. […] J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature346. » Et nous voici au centre de la grande énigme à laquelle s’attaque la science depuis un demi-siècle : ce que nous appelons aujourd’hui nature dans tous les êtres, formes et propriétés ou instincts, n’est-ce pas une collection d’acquisitions successives, fixées par l’habitude, transmises par l’hérédité ?
« J’ai laissé venir à moi, dit-il, toutes les sensations et toutes les images ; puis je fus guidé dans mon choix par l’instinct de mon cœur, comme je le suis dans l’obscurité par mes doigts habiles à reconnaître les objets familiers.
On peut dire en effet que dans les fables, l’instinct de l’humanité avait marqué d’avance les principes de la science moderne, que les méditations des savants ont depuis éclairée par des raisonnements, et résumée dans des maximes.