En parlant de cette époque déjà ancienne, moi et ceux de mon âge, nous n’en sommes pas purement et simplement à la merci de l’historien ; nous avons nos souvenirs, nos impressions de première jeunesse, impressions partielles et incomplètes sans doute, et qui ont besoin d’être contrôlées par l’étude et la réflexion, mais que rien cependant ne saurait suppléer ni remplacer dans tout ce que les livres les plus impartiaux s’efforcent de reproduire. […] M. de Chateaubriand, à la tribune des Pairs, eut ce jour-là de nobles paroles, et, cet autre jour, il en eut de malheureuses… » Sur les violences matérielles et les horreurs qui ensanglantèrent le Midi, on est unanime ; mais là encore on essaye de n’en pas trop dire et de limiter l’indignation ; on n’emprunte que discrètement à l’effroi de la tradition populaire qui a survécu et qui subsiste encore ; on craint de paraître donner dans la légende qui grossit les faits et les transfigure : à ce travail honorable, entrepris par de bons esprits qui ont oublié d’être de grands peintres, le courant incendiaire qui traversa alors et dévora toute une partie de la France, se dissipe et s’évapore ; l’atmosphère embrasée du temps ne se traduit point au milieu de ces justes, mais froides analyses ; l’air échappe à travers les mailles du filet, et c’est encore dans les historiens d’une seule pièce, d’une seule et uniforme nuance comme Vaulabelle, dans ce récit ferme, tendu et sombre, où se dresse énergiquement passion contre passion, qu’on reçoit le plus au vif et en toute franchise l’impression et le sentiment des fureurs qui caractérisent le fanatisme royaliste à cette époque.
j’étais jeune, plein d’avenir, ou du moins d’espérance ; mon cœur surabondait d’une continuelle joie, …, Je ne comptais que des heures sereines. » Quant aux descriptions en vers de ces lieux et de ces temps, et du charme particulier qui s’y attache, je ne puis que les indiquer à tous ceux qu’attire la vérité de l’impression : lisez le Hêtre sur l’écorce duquel le poète a gravé un nom ; c’est une pièce qu’on dirait de la dernière manière de Fontanes ; — lisez cette autre pièce plus grave, plus méditative, l’If de Tancarville, cet if dix fois séculaire, contemporain des premiers barons normands, et devant lequel le poète en contemplation s’écrie : Oh ! […] Certes Victor Hugo les eût autrement décrites, ces Catacombes, et dans cette ode qu’il n’a pas faite, je vois d’ici en idée des merveilles de corridors, des profondeurs et des lacis de labyrinthes, et je crois sentir une impression glaciale de terreur ; mais, en dehors de toute comparaison pittoresque, l’idée philosophique et humaine, chez M. […] L’expression, on le voit, y est naturelle, noble, élégante, poétique même, pas assez créée toutefois, pas assez vivement pittoresque, mais puisée dans l’impression et vraie.
L’impression qu’on reçoit est bien différente et précisément contraire, quand on examine les faits en eux-mêmes ; et sans vouloir faire du grand Frédéric un prince le moins du monde désintéressé, on voit que le véritable envahisseur, le seul usurpateur ici, c’est Joseph II. […] Malheureusement les propos tenus par plusieurs ministres du roi dans les Cours ont fait croire le contraire. » Dans de telles conjonctures, Marie-Antoinette, on le conçoit, ne réussit à rien tirer de bien net des ministres qui sont et doivent être plus Français qu’elle, et qui ne se décident point sur des impressions et d’après des convenances de famille : « Pour le roi personnellement, il est bien attaché à l’alliance, et autant que je puisse le désirer ; mais, pour un moment aussi intéressant, je n’ai pas cru devoir me borner à en parler au roi : j’ai vu MM. de Maurepas et de Vergennes ; ils m’ont fort bien répondu sur l’alliance et m’y paraissent véritablement attachés ; mais ils ont tant de peur d’une guerre de terre, que quand je les ai poussés jusqu’au point où le roi de Prusse aurait commencé les hostilités, je n’en ai pu avoir de réponse bien nette. (25 mars 1778.) » Novice qu’elle est dans ces sortes d’affaires, elle ne démêle pas très distinctement les motifs qui font agir nos ministres et les intérêts véritables qu’elle aurait dû comprendre comme eux, ce qui lui aurait permis d’agir de concert vers le seul résultat possible. […] Marie-Antoinette ne parle en tout ceci que d’après Marie-Thérèse, sans élever ni admettre aucune objection, et l’on peut dire que, cette fois, c’est en obéissant trop docilement à son illustre mère qu’elle manque à faire son métier de reine : « Après avoir causé avec Mercy sur le mauvais état des affaires, j’ai fait venir MM. de Maurepas et de Vergennes ; je leur ai parlé un peu fortement, et je crois leur avoir fait impression, surtout au dernier.