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1427. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

De là ce qu’ont de séduisant pour l’imagination les pays exotiques, les temps antiques et disparus que l’on voit si mal et si beaux ; dans l’ordre moral, les passions mystérieuses et fatales, les conception bizarres, tout ce qui dans l’âme est extrême, contradictoire, illimité ; de là, la beauté éternelle des lieux communs idéaux de la poésie, le couchant, le printemps, l’amour, dont la description peut être écourtée à plaisir, et dont le contenu émotionnel demeure dans l’ordre physique ; l’attrait des paysages nocturnes, brumeux, des physionomies à demi voilées, du clair-obscur, la grandeur des arts du nord ; de là, malgré tant de tentatives, l’impossibilité d’une vraie poésie scientifique, didactique, réaliste qui constituerait, si elle existait, la contradiction d’une description précise et d’une idéalisation indéfinie ; de là le fait que la musique est le plus poétique des arts parce qu’il en est le plus vague ; de là encore là demi-synonymie des termes « poétique » et « idéal » ; de là enfin l’impossibilité constante de traduire la poésie d’une langue dans une autre, soit parce qu’il faut commencer par la comprendre exactement avant de l’interpréter, soit parce qu’il est malaisé de trouver des mots qui soient vagues tout à fait de même que dans l’original, sans le déflorer ou le laisser inintelligible. […] Il faut donc que les réalistes et les idéalistes, usent les uns comme les autres d’imagination et s’attachent à modifier, à déformer, à dénaturer le réel, ce qui diffère entre ces deux grandes écoles, c’est non l’exactitude, la justesse de la vision, mais la manière d’altérer ce que leur montre la nature et d’en tirer des œuvres qui n’ont rien de semblable12. […] En tout cas, la sensibilité maladive qu’il montre pour les visions et les imaginations d’horreur était impérieusement asservie et utilisée chez lui par des facultés de raisonnement supérieures. […] Ils sont exclus du monde des faits, de la connaissance et de l’amour des simples objets naturels, par le maléfice d’une imagination incurablement raffinée, qui dégoûte de toutes choses par de plus séducteurs idéaux et oublie qu’il manque à ces fantômes la qualité primordiale de l’existence.

1428. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

On sent que la richesse d’imagination et la jeunesse encore saine du cœur s’agitent en lui sous la froide ironie du sceptique. […] Ce sujet plaisait tant à l’imagination dépravée de l’auteur qu’on le retrouve avec quelques variantes dans cinq ou six de ses œuvres en prose et en vers. C’est toujours le suicide réfléchi qui est le dénouement d’un amour des sens, détestable image à offrir à l’imagination des jeunes hommes ! […] Cela rappelle un chant de moi, les Préludes, mais cela est mille fois plus vagabond et plus emporté d’imagination ; le disciple dépassait de bien loin le maître.

1429. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Ainsi le prince de Ligne, vif, brillant, étincelant de traits, rencontrait le mieux, mais ne s’y tenait pas ; il avait plus d’imagination que de mesure et de goût. […] Il est un sujet auquel il revient souvent, soit à propos de Besenval, soit à propos de La Harpe, toutes les fois qu’il en trouve l’occasion, c’est la reine Marie-Antoinette ; et chaque fois, inspiré par son cœur, par une imagination fidèle et émue, il nous la montre sous un vrai jour, avec ses ingénuités, ses étourderies innocentes, et dans tout l’éclat de sa figure « sur laquelle on voyait se développer, en rougissant, ses jolis regrets, ses excuses, et souvent ses bienfaits ».

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