Barrès, le danger qu’il y a pour un groupe d’hommes à se concevoir, dans les parties essentielles de son énergie, à l’image d’un modèle élaboré par un groupe différent. […] C’est parce détour qu’un groupe social, se concevant à l’image d’un modèle étranger, s’affaiblit et se ruine. […] Le temps différent, comme l’espace différent, est une cause de changement : il semble donc qu’une réalité modifiée par le temps soit exposée à se concevoir autre qu’elle n’est devenue si elle persiste à se concevoir selon l’image exacte de ce qu’elle fut naguère.
Les légendes de la calomnie, car elle a ses légendes, sont des médailles frappées à notre propre image. […] Capefigue qui, depuis longtemps, n’appuie plus l’histoire, n’avait pas le pouce qu’il fallait pour laisser n’importe quelle empreinte sur ce petit bronze libertin du xviiie siècle, dans lequel la Postérité continuera de voir — tout simplement — l’image à voiler de la Frétillon d’un roi qui ne pétillait plus, de l’indécente Sunamite d’un Salomon qui ne fut jamais Salomon que par la vieillesse ! […] Il serait tout aussi violent et messéant de comparer Louis XV à Louis XIV que Mme Du Barry à Mme de Maintenon, car Mme de Maintenon ressemblait à Louis XIV, ou Louis XV lui ressemblait, comme Mme Du Barry ressemblait à Louis XV, ou comme Louis XV ressemblait à Mme Du Barry, nos maîtresses étant presque toujours faites à notre image ou nous étant faits à la leur.
C’est que, bons ou mauvais, ils ont une vertu romanesque indéniable : une tête empanachée ; le droit d’avoir des rêves comme le commun des hommes et, plus que d’autres, le pouvoir de les suivre ; une cour où l’imagination peut impunément loger l’invraisemblable, réunir toutes les beautés à toutes les perfidies, tous les caprices, tous les crimes, tous les luxes, toutes les grandiloquences et toutes les idées même, sans que la conscience du lecteur, enfantine à jamais devant l’image d’un roi, s’en émeuve et proteste. […] J’allais, un peu en arrière, intimidé par cette qualité de profane et d’intrus, que tout me rappelait, mon costume, les grands corridors blancs, les images pendues aux murs, le silence, la démarche grave et recueillie de la supérieure générale qui nous précédait, vieille femme à qui obéissaient les deux cent vingt monastères du Bon-Pasteur répandus dans le monde entier. […] Un homme qui est doué pour l’observation possédera vite, en lui-même, une collection d’images prises au hasard des chemins, incomplètes, fragmentaires, simples apparitions de la vie dans un moment de la durée, et qui ne sont que des éléments de personnages, des traits dispersés, des croquis pareils à ceux des peintres.