Mais ce fut une idée de Cormenin vieillissant, retiré de la mêlée, pensant à sa gloire qu’il voulait peut-être justifier, que ces portraits, publiés isolément d’abord, et qu’il tenta de relier entre eux par des idées intermédiaires et de ranger sur un fond de théories comme sur un lambris. […] Pour mon compte, et par parenthèse, j’aime mieux celle du vieux Leclerc, qui, du moins, est pratique, que celle de Cormenin, qui n’est qu’un flot stérile d’idées exprimées dix mille fois. […] Et je pourrais multiplier, si je le voulais, les exemples de ce style lâché qui est le style de Cormenin et des Orateurs ; mais j’en ai dit assez pour qu’on en ait l’idée et pour qu’on perde celle qu’on avait jusqu’ici gardée de lui, comme écrivain. […] … Que diriez-vous de cette tête sans principes, qui n’a, pour toute idée politique, comme de Genoude, que le suffrage universel sans organisation supérieure, et qui, mêlant la démocratie et le catholicisme, comme Buchez, croyait à la République de l’avenir ? Que diriez-vous enfin de ce rouleur d’idées, — qui ont déjà assez roulé sans lui, — lequel préfère Cicéron et Démosthènes, dit-il, à César et à Alexandre, ces tueurs d’hommes effroyables, comme si de tuer les hommes comme les tuaient César et Alexandre n’avait pas agrandi des âmes et avancé des civilisations !
Réhabiliter la chair — l’expression est maintenant consacrée — l’élever au niveau de l’âme, qui ne doit plus lui commander, cette idée anarchique et grossière, chère à tant d’hérésies, qui, en l’infectant, en ont épouvanté le monde, voilà le premier et le dernier mot de Saint-Simon et de son évangéliste Enfantin. Campée audacieusement à la tête d’une théorie comme l’aurait lancée Saint-Simon tout seul, ce gentilhomme impertinent et dépravé, qui se croyait sorti de la cuisse de Charlemagne, dont il descendait peut-être par Eginhart, cette idée dans sa crudité eût probablement révolté jusqu’aux vices d’un temps aussi admirablement couard que le nôtre, sans le travail de haute confusion et d’immense hypocrisie que vient lui faire subir M. […] Enfantin ouvre son livre ; et ces huit premiers paragraphes, dont nous abrégeons le contenu, tout en en signalant l’idée, contiennent l’essence de sa brochure. […] C’est donc, tout en parlant avec componction des idées chrétiennes, le renversement, bout pour bout, de ces idées et la ruine de la civilisation qu’elles ont faite. […] Enfantin, ni au saint-simonisme ; elles appartiennent à la littérature chrétienne sans laquelle, même comme exposition d’idées, le saint-simonisme n’aurait jamais dit deux mots… Il serait tolérable peut-être que ces gens-là (s’ils le pouvaient) fissent leur affaire sans prendre niaisement notre dogme, nos formules, notre style, obligés à imiter notre manière d’être, pour nous répondre et nous parodier !
Ce progrès, évident à toute Critique attentive et profonde, ne consiste pas seulement dans cette ciselure de l’expression qui frappe facilement tous les yeux, même les faibles, et qui a introduit dans toutes les appréciations de la Critique contemporaine cette idée commune, qui a l’ubiquité des idées communes : M. […] selon nous, voilà un progrès, — relatif, il est vrai, — mais un progrès, pourtant, dont il faut tenir compte, car c’est un élargissement dans l’idée et dans la manière de l’auteur, la manière, cette cire dont l’idée est le sceau ! […] Nous l’ignorons, seulement elle s’est développée dans ce livre où le poète n’avait pour but, croyait-il, que de se resserrer, que de se tasser dans un petit espace, et où l’idée panthéistique lui a imposé un horizon qui n’est pas l’Infini encore, — cette sphère où toute grande poésie doit franchement monter, — mais qui pourtant parle déjà d’Infini à la pensée, comme la jonction lointaine de la terre et du ciel, qui est une limite aussi, nous en parle silencieusement, le soir. […] Gautier, que la faculté de l’expression, arrivée à ce degré fulgurant de supériorité, crée la poésie et la créerait encore, quel que fût le système d’idées dans lequel se plaçât le poète, — fût-ce même dans le plus abaissé de tous !