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362. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Ainsi, par l’intempérance de son énorme talent, M. de Balzac a su augmenter outre mesure tous les dangers de l’idéal et tous les dangers du réalisme dans le roman. […] L’idéal, dans le vrai sens du mot, resté inconnu à M. de Balzac, est absent ; il n’y a rien là qui résume un siècle ou une âme. […] qu’il soit exclusivement composé d’âmes poétiques, élevées, éprises d’idéal ? […] Il a pris pour idéal Richelieu ou Ximénès, comme M.  […] À ce pouvoir nouveau, idéal, revêtu de tous les prestiges de l’inconnu, une seule puissance aurait pu être opposée comme contre-poids : la Religion, l’Église.

363. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

L’autre science, qui préexiste en nous, et qui est en nous une sorte de réminiscence des choses divines, est la science de ce qui est et ce qui doit être en soi-même, de ce qui est conforme au modèle intérieur divin des choses, le beau, le bon, le juste, le saint, le parfait, l’absolu, l’idéal, comme nous disons aujourd’hui. […] Sa théologie et sa législation sont d’une seule et même nature : l’idéal de la perfection. […] Une utopie est une chimère qu’un esprit juste ou faux, ingénieux ou borné, se complaît à créer pour incarner son idéal ou son système dans une institution religieuse, politique ou sociale, le modèle de ses pensées. […] Rousseau, dans son Contrat social et dans ses Plans de constitution pour la Pologne ; L’abbé de Saint-Pierre, dans sa Paix universelle ; Robespierre et Saint-Just, dans leur système d’égalité et de nivellement démocratique à tout prix, qui auraient décapité la société jusqu’à la dernière unité vivante, pour que l’un ne dépassât pas l’autre d’une faculté, d’une obole ou d’un cheveu ; Babeuf, dans sa communauté des biens ; Saint-Simon, de nos jours, dans sa proportion algébrique entre les aptitudes et les fonctions ; Fourrier, dans son cauchemar d’industrie, réduisant toute la société physique et morale à une association en commandite dont Dieu est le commanditaire, et promettant à l’homme jusqu’à des organes naturels de plus, pour jouir de félicites plus matérielles ; Cabet, dans son Icarie indéfinissable, chaos d’une tête vague, qui ne savait pas même rêver beau ; Tel autre, dans son égalité des salaires, charité idéale inspirée de l’Évangile sans doute, mais qui deviendrait la souveraine injustice envers le travail et le talent, et la prime réservée à l’oisiveté et aux vices, système des frelons qui pillent la ruche ; Tel autre, enfin, dans ses sentences de philosophie suicide, expropriant la famille, cette unité triple, qui enfante, nourrit, moralise et perpétue seule l’humanité, pour assouvir l’individu qui la tue : maximes folles, mais comminatoires, qui firent écrouler d’effroi toute démocratie progressive devant la démagogie des idées ; sophiste néfaste, mille fois plus funeste à la République que tous les poètes chassés de la République par Platon : Voilà ce qu’on entend par utopiste : ce sont les sophistes de la politique. […] Mais ce n’est pas moins fausser l’entendement humain en politique que de présenter la République de Platon comme un idéal de gouvernement dont une législation doit se rapprocher.

364. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Ils n’avaient pas sous les yeux, pour peindre l’homme, l’idéal du Clovis, le guerrier sans faiblesse, toujours égal à lui-même, que son courage n’emporte ni ne trahit jamais, un héros dans la langue des romans, un parfait dans la langue de la théologie. […] Huet, qui le qualifie d’esprit merveilleusement doué pour la poésie, et qui trouve dans ses poèmes « des pensées sublimes3 », — ce qui n’est pas d’un ennemi, ce semble, — déclare qu’il eût jugé autrement Homère et Virgile, « s’il se fût appliqué à acquérir une plus parfaite connaissance de l’antiquité et de lui-même. » Ainsi le premier adversaire de l’antiquité classique est un homme d’esprit qui parle des anciens sans les connaître, et s’ignore lui-même ; un poète qui est à lui-même son propre idéal ; un chrétien, s’il le fut sincèrement, qui n’a ni l’humilité ni la charité. […] Il la rend plus spécieuse en contestant la supériorité des anciens, non pas au nom de son goût particulier, mais par comparaison avec un idéal nouveau qu’il a soin de ne pas personnifier en lui. […] Tous les deux ont l’esprit touché d’un idéal de héros qu’ils ont trouvé, Perrault dans les romans, Boileau dans les poétiques d’alors. […] Elle aussi a honte, pour son idéal, de la familiarité et, comme on disait alors, de la grossièreté de certains détails.

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