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597. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

Ces bons tours, que je n’excuserai point, car ce que je trouve au monde de plus odieux, c’est de diminuer l’immoralité des actes humains avec cette chose terrible qui peut ronger tout : la plaisanterie ! […] C’est ce génie, plus épris de réalité que d’idéal, de nature humaine que de l’autre nature. […] Campaux a mis, avec beaucoup de tact, à part de tout, dans l’analyse qu’il fait du génie de son poète, cette fusion divinement humaine du rire et des larmes qui fait tomber des pleurs dans la coupe rose des lèvres souriantes, et passer à travers les épanouissements des rires le cruel fausset des sanglots. […] Et vraiment, si l’imagination humaine est ainsi faite que, dans les poèmes de lord Byron, par exemple, elle pardonne même au crime en faveur d’un noble sentiment que l’âme a gardé dans sa pureté première, si la fidélité de Conrad le Corsaire est plus belle enchâssée dans cette vie de bandit, comme un diamant qui rayonnerait mieux dans une monture noire, cette fidélité dans l‘amour qu’il avait, lui aussi, profitera au pauvre Villon.

598. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

Et pourtant ce serait à elle, la Philosophie, si on croyait ses prétentions à l’indépendance, à l’acuité de l’observation, au sentiment de la réalité en toutes choses, ce serait à elle plus qu’à personne à toucher le préjugé populaire pour le détruire et le diminuer, à entreprendre et à parachever cette étude hardie du cœur humain, cette dissection sur le vif par la réflexion , comme disait Rivarol, dans laquelle le scalpel immatériel, plus heureux que le scalpel qui fouille nos cadavres, trouve toujours où plonger et où interroger en des sentiments immortalisés par les hasards ou par les justices de l’Histoire ! […] — un autre aurait été plus doux pour mon cœur, celui de votre CONCUBINE et de votre fille de joie, espérant que bornée à ce rôle j’entraverais moins vos glorieuses destinées. » On a vu dans ce dernier mot une abnégation à la sainte Thérèse, quelque chose qui, déplacé de l’ordre divin dans le désordre humain, rappelait le cri sublime de la religieuse espagnole : « Quand vous me damneriez, Seigneur, je vous aimerais encore, même en enfer !  […] Pouvait-elle être la sainte Thérèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ? […] C’est une chose qui ne saurait passer qu’à la honte de l’observation humaine, et, comme moraliste et observateur, nous réclamons.

599. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

Et n’y en aurait-il plus — tout serait-il fini dans le cœur humain — qu’il faudrait les publier encore, comme on élève un autel dans la solitude, pour l’honneur de Dieu ! […] Je n’ai à parler que de la sainte de cœur humain que fut cette délicieuse Condé, avant d’être la majestueuse Sainte qu’elle devint devant Dieu et devant l’Église. […] D’un autre côté, je connais trop aussi l’argile dont est fait le cœur dans la nature humaine pour que, moi qui crois si absolument à l’amour de Dieu, je puisse croire aussi absolument à l’amour qui n’est pas pour lui. […] La fibre humaine ne peut pas supporter longtemps, sans se briser, les sons tuants de l’harmonica, qui sont pourtant la plus délicieuse des mélodies !

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