Ainsi il a fait à El-Aghouat, ainsi à Aïn-Mahdy : et du haut de cette station dominante, promenant partout le regard, pensant aussi aux luttes sanglantes dont ces villes ignorées furent le théâtre, à ces sièges qu’elles soutinrent, et aux scènes humaines émouvantes qui durent se passer autour de ces murailles, il dira : « De ma terrasse, en m’accoudant sur un mur crénelé qui fait partie du rempart, j’embrasse une grande moitié de l’oasis et toute la plaine, depuis le sud où le ciel enflammé vibre sous la réverbération lointaine du désert, jusqu’au Nord-Ouest où la plaine aride, brûlée, couleur de cendre chaude, se relève insensiblement vers les montages. […] Hélène et Priam, au sommet de la tour, nommaient les chefs de l’armée grecque ; Antigone, amenée par son gouverneur sur la terrasse du palais d’Œdipe et cherchant à reconnaître son frère au milieu du camp des Sept Chefs, voilà des tableaux qui me passionnent et qui me semblent contenir toutes les solennités possibles de la nature et du drame humain. « Quel est ce guerrier au panache blanc qui marche en tête de l’armée ? […] Même dans ce pays de désolante ardeur où il n’y a plus lieu de dire avec Bernardin de Saint-Pierre « qu’un paysage est le fond du tableau de la vie humaine », même au sein de cette accablante nature, avec lui, l’homme ne fait jamais défaut ; la pensée et la vie du témoin, sa sympathie, ne sont jamais absentes.
Je sais bien que c’est là de la philosophie humaine, mais tout n’est pas erreur dans la sagesse de l’homme, comme tout n’est pas folie dans sa raison… « Il semble que le jour ne se lève que pour me convaincre de plus en plus de ma parfaite ineptie. […] Le monde extérieur, celui de l’Empire et des guerres brillantes, celui de l’administration à tous les degrés et des affaires, le monde de l’industrie et des arts, celui des beaux-arts, le monde des lettres et de la philosophie humaine, le monde proprement dit, celui de l’élégance et des plaisirs, rien n’y pénètre, rien n’y passe, même à la traverse. […] Ils méritent d’être donnés en entier et sont le plus éloquent commentaire de ce qu’a raconté de ce Concile national M. d’Haussonville au tome iv de l’Église romaine sous le premier Empire « (La Chesnaie, 1811.) — Gratien arrive et me remet tes paquets. — Comme la Providence se joue des passions humaines et de la puissance de ces hommes qu’on appelle grands !
Le genre humain en masse est perdu sans retour ; il se rue en délire selon une pente de plus en plus croulante ; il n’y a plus de possible que des protestations isolées, des fuites individuelles au vrai : « Hommes forts, hâtez-vous, le sort vous a servis en vous faisant vivre tandis qu’il en est temps encore dans plusieurs contrées ; hâtez-vous, les jours se préparent rapidement où cette nature robuste n’existera plus, où tout sol sera façonné, où tout homme sera énervé par l’industrie humaine. » L’athéisme, le naturisme de ce Spinosa moins géométrique que l’autre, et poétiquement rêveur, nous rappelle toutefois le raisonneur enthousiaste dans sa sobriété chauve et nue, de même que cela nous rappelle, par l’effet des peintures, par l’inexprimable mélancolie qui les couvre et l’effroi désolé qui y circule, Lucrèce, Boulanger, Pascal et l’Alastor du moderne Shelley. — Shelley ! […] C’est à la fois un psychologiste ardent, un lamentable élégiaque des douleurs humaines et un peintre magnifique de la réalité.