Il s’exécuta toutefois en galant homme et se maria à vingt-cinq ans (12 novembre 1764) sans avoir, elle ni lui, la moindre fortune. […] Les hommes sont ainsi faits ; le ton qu’on passe aisément à un homme de belle taille, on ne le pardonne pas de même à un petit. […] La galerie ne rirait plus comme autrefois, et l’homme de lettres, en cessant d’être une espèce à part, a gagné en égalité véritable. […] Nous étions à table chez un de nos confrères à l’Académie, grand seigneur et homme d’esprit. […] C’était Cazotte, homme aimable et original, mais malheureusement infatué des rêveries des Illuminés.
Il vendit à un libraire de Francfort, pour une contrefaçon du Siècle de Louis XIV, des notes qui n’y relevaient pas seulement des erreurs, mais qui s’attaquaient à l’homme même. […] Il fallait, à l’exemple de Montesquieu, considérer les révolutions qui sont arrivées dans les mœurs, dans la politique, dans la religion et dans les arts, en établir la réalité, en chercher les causes, en marquer les moments, en un mot, peindre les hommes comme vous l’aviez promis, et non peindre quelques hommes, comme vous l’avez fait. […] Il y a eu dans l’Antiquité tout un ordre de grammairiens et de rhéteurs qui ont fabriqué des lettres de rois et de grands hommes, et quelquefois c’était à s’y méprendre. […] vous me transcrivez des lettres d’un homme historique, d’un grand roi, d’un héros, et vous y mêlez de vos tours et de vos pensées, sans me le dire ! […] Entre nous, je crois que la présence de Voltaire plaira moins à Maupertuis qu’à tout autre ; ces deux hommes ne sont pas faits pour demeurer ensemble dans la même chambre. » (Lettre au même, du 22 octobre 1750.)
Il en est résulté un jour de fond qui a éclairé le devant, c’est-à-dire qui a fait mieux voir dans toute la vie ultérieure et dans les mobiles habituels de cet homme plus distingué qu’heureux et plus intéressant que sage. […] Tout homme d’esprit, d’esprit rompu et mobile, quand il prend la plume pour correspondre, est un peu comme Alcibiade, et revêt plus ou moins les nuances de la personne à laquelle il s’adresse. […] Lui qui, comme homme, s’en prenait si volontiers à une fatalité désastreuse, il était l’avocat le plus intrépide et le moins hésitant de toute liberté publique ; une fois à la Minerve ou à la tribune, il croyait et il disait qu’en laissant beaucoup faire aux hommes, aux individus dans la société, il en résulterait le plus grand bien, la plus grande justice et la meilleure conduite de l’ensemble. […] Que si l’on a affaire à un homme politique, à l’un de ceux qui ont professé hautement la science sociale, et qui, de leur vivant, ont joui tant bien que mal des honneurs et du renom de grand citoyen, oh ! […] Aux hommes vraiment politiques, à ceux qui auraient gardé quelque chose du grand art de conduire et de gouverner les autres, il serait par trop simple et peut-être injuste de demander l’exacte moralité du particulier : ils ont la leur aussi, réglée sur la grandeur et l’utilité de l’ensemble ; mais à tous ceux qui prétendent encore à ce titre d’hommes politiques, ne fussent-ils toute leur vie que des hommes d’opposition, on a droit de demander du sérieux, et c’est là le côté faible, qui saute aux yeux d’abord, dans la considération du rôle de Benjamin Constant : une trop grande moitié y parodiait l’autre.