Il est de grands esprits, — même très grands, — réfléchis et cultivés, qui ont atteint des développements considérables et une haute stature intellectuelle par la volonté et par le travail ; mais ce ne sont pas des hommes de génie s’ils n’ont pas le jaillissement incoercible, la spontanéité, qui est la chiquenaude de Dieu mettant en mouvement l’univers. […] Gœthe ne rappelle de Florian que l’âne de sa fable, qui, trouvant une flûte à ses pieds et la prenant pour un chardon d’une espèce particulière, y colla ses lourdes babines, souffla et en tira un son qui l’émerveilla dans sa naïveté d’âme, tandis que Gœthe, pour avoir poussé son haleine dans ce trou de flûte, ne s’est point étonné, mais s’est cru un Ménandre, — comme dans le Grand Cophte et les Complices, ses hautes comédies, il s’est cru peut-être un Aristophane. […] Il porte la redingote aux revers de soie, la haute cravate du temps, sans nœud, fixée par une pierre précieuse, et à travers les plis mous de laquelle se devinent, hélas ! […] La gloire de Gœthe, cette énormité, ce mensonge, auquel les menteurs eux-mêmes se sont pris ; cette gloire pour laquelle on n’a pas trouvé de socle assez haut, et qu’on a perchée sur un obélisque et reléguée là à poste fixe, est trop loin de tout le monde et ne tient aux entrailles de personne. […] Ses Voyages de Suisse, de France et d’Italie, ne classent pas très haut Gœthe comme voyageur.
A mesure qu’il élève plus haut ses regards, le dynamiste croit apercevoir des faits qui se dérobent davantage à l’étreinte des lois : il érige donc le fait en réalité absolue, et la loi en expression plus ou moins symbolique de cette réalité. […] Nous sommes ainsi ramenés à la distinction que nous avons établie plus haut entre la multiplicité de juxtaposition et la multiplicité de fusion ou de pénétration mutuelle. […] Il faut remarquer, comme nous le disions plus haut, que le moi grossit, s’enrichit et change, à mesure qu’il passe par les deux états contraires ; sinon, comment se déciderait-il jamais ? […] On retombe ainsi dans l’illusion que nous avons signalée plus haut : on explique mécaniquement un fait, puis on substitue cette explication au fait lui-même. […] Vous matérialisiez ainsi ces conditions ; vous faisiez du temps à venir une route déjà tracée dans la plaine, et que l’on peut contempler du haut de la montagne sans l’avoir parcourue, sans devoir la parcourir jamais.
Mais, d’autre part, la conscience constate une irréductible différence de forme entre cet accroissement d’intensité et celui qui tient à une plus haute puissance de l’excitation extérieure : il semble en effet venir du dedans, et témoigner d’une certaine attitude adoptée par l’intelligence. […] Mais à mesure que ces souvenirs se rapprochent davantage du mouvement et par là de la perception extérieure, l’opération de la mémoire acquiert une plus haute importance pratique. […] Cette tendance automatique ne va d’ailleurs pas — nous le disions plus haut — sans un certain travail intellectuel rudimentaire : sinon, comment pourrions-nous identifier ensemble, et par conséquent suivre avec le même schème, des paroles semblables prononcées à des hauteurs différentes avec des timbres de voix différents ? […] La reconnaissance attentive, disions-nous, est un véritable circuit, où l’objet extérieur nous livre des parties de plus en plus profondes de lui-même à mesure que notre mémoire, symétriquement placée, adopte une plus haute tension pour projeter vers lui ses souvenirs. […] Je comprends fort bien ce commencement de reconnaissance automatique qui consisterait, comme on l’a vu plus haut, à souligner les principales articulations de cette phrase, à en adopter ainsi le mouvement.