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323. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

En ce qui touche ses amours, par exemple, les amours qu’il a inspirés et les caprices ardents qu’il a ressentis (car il n’a guère jamais ressenti autre chose), il est très discret, par soi-disant bon goût, par chevalerie, par convenance demi-mondaine, demi-religieuse, parce qu’aussi, écrivant ses Mémoires sous l’influence et le regard de celle qu’il nommait Béatrix et qui devait y avoir la place d’honneur, de Mme Récamier, il était censé ne plus aimer qu’elle et n’avoir jamais eu auparavant que des attachements d’un ordre moindre et très inégal ou inférieur. […] Ce n’est guère que dans les souvenirs d’enfance que l’auteur a osé ou voulu dire un peu plus. […] Ce qui est singulier, c’est qu’il n’a guère dans sa vie rencontré de femme qui ne lui ait donné raison.

324. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Le roi n’était pas seulement l’homme le plus aimable de son royaume ; si l’on excepte le Milord Maréchal, il était le seul : « Il est presque la seule personne de son royaume, dit d’Alembert, avec qui on puisse converser, du moins de ce genre de conversation qu’on ne connaît guère qu’en France, et qui est devenu nécessaire quand on le connaît une fois. » D’Alembert ne tarit pas sur l’affabilité, la gaieté du roi, les lumières qu’il porte en tout sujet, sa bonne administration, son application au bien des peuples, la justice et la justesse qui se marquent en tous ses jugements. […] D’Alembert aussi, ne l’oublions pas, a ses faiblesses ; nous savons déjà que les philosophes du xviiie  siècle n’aimaient guère la liberté de la presse que quand elle était à leur usage : un jour d’Alembert est insulté par je ne sais quel gazetier qui rédigeait le Courrier du Bas-Rhin dans les États mêmes de Frédéric ; il le dénonce au roi. […] Notre raison est trop faible pour vaincre la douleur d’une blessure mortelle ; il faut donner quelque chose à la nature, et se dire surtout qu’à votre âge comme au mien on doit plutôt se consoler, parce que nous ne tarderons guère de nous rejoindre aux objets de nos regrets.

325. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

En littérature, à proprement parler, je le définirai un élève de Racine, de Boileau et de L’Art poétique, mais qui a gardé quelque façon complaisante de périphrase que Pascal qu’il admire tant ne lui aurait guère passée. […] Peut-être faut-il louer en cela la prudence ; mais la prudence n’est guère une vertu de poète ; plus j’étudie son caractère, plus il me paraît singulier ; à le voir, à l’entendre parler, on ne se défierait jamais qu’il pût sortir de sa tête d’aussi beaux vers que les siens, adeo ut plerique, etc. […] On peut juger que la philosophie du temps ne trouvait guère son compte avec lui, et qu’elle frémissait souvent d’impatience et de colère de se sentir ainsi contenue.

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