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607. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Je définis le groupe, non pas l’assemblage fortuit et artificiel de gens d’esprit qui se concertent dans un but, mais l’association naturelle et comme spontanée de jeunes esprits et de jeunes talents, non pas précisément semblables et de la même famille, mais de la même volée et du même printemps, éclos sous le même astre, et qui se sentent nés, avec des variétés de goût et de vocation, pour une œuvre commune. […] Sous ce nom de rhétorique, qui n’implique pas dans ma pensée une défaveur absolue, je suis bien loin de blâmer d’ailleurs et d’exclure les jugements du goût, les impressions immédiates et vives ; je ne renonce pas à Quintilien, je le circonscris8. […] Le portrait vu dans sa première épreuve a pour l’amateur et pour l’homme de goût un prix que rien dans la suite ne peut rendre. […] Les disciples qui imitent le genre et le goût de leur modèle en écrivant sont très-curieux à suivre et des plus propres, à leur tour, à jeter sur lui de la lumière.

608. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Tristement célèbre à nos yeux par ses trois premières intendances, surtout par celle du Béarn, à titre de persécuteur et de convertisseur des protestants, il s’honora dans celle de Caen, où il ne demeura pas moins de dix-sept années, par sa bonne administration, ses règlements utiles, son goût pour les antiquités curieuses, pour les lettres, et par sa bienveillance envers ceux qui les cultivaient. […] Il raconte que, dans une de ses tournées de début, un consul de Nogaro, qui était à la fois médecin, lui dit dans sa harangue « que le roi l’avait envoyé dans la province pour la purger de tous les fainéants et gens de mauvaise vie, et qu’au sentiment d’Hippocrate ce qui formait les humeurs peccantes était l’oisiveté. » L’idée, en un sens, n’était pas aussi fausse que l’expression était ridicule. — « Je gardai mon sérieux, ajoute Foucault, mai les assistants ne se crurent pas obligés à la-même gravité. » Foucault, comme autrefois Fléchier aux Grands Jours d’Auvergne, se moque des harangueurs surannés de la province ; il est un homme, de goût par rapport à ce consul. Mais, nous verrons que lui-même, dans ses harangues, n’était homme de goût que relativement, ayant gardé bien du scolastique. […] Non content d’écrire à Louvois pour réclamer des mesures de rigueur, et avant même d’avoir la réponse, Foucault s’adresse au Père de La Chaise pour lui suggérer d’autre part des moyens auxiliaires plus doux ; il propose non plus ici des cavaliers et des dragons, mais d’autoriser une conférence, par exemple, où les points controversés soient agités, disant que les ministres et les principaux religionnaires de ces contrées ne cherchaient qu’une porte honnête pour rentrer dans l’Église : « Ceux, ajoute-t-il, qui sont les plus considérés et les plus accrédités dans le parti m’ont assuré que c’était la seule voie qui pût faire réussir le grand projet des conversions ; que celles de rigueur, de privation des emplois, les pensions et les grâces seraient inutiles. » Dans un voyage qu’il fait à Paris, il en parle également au chancelier Le Tellier, lequel a d’ailleurs peu de goût pour Foucault, et qui ferme l’oreille à sa proposition : « Il la rejeta absolument, disant qu’une pareille assemblée aurait le même succès que le Colloque de Poissy ; que le pape trouverait mauvais que l’on fît une pareille conférence sans sa participation, et me défendit d’en parler au roi.

609. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

De ce goût pour la vie, de ce perpétuel et paradoxal effort à rendre le mouvement avec des mots figés et une langue plus ferme que souple, de cette artistique quadrature du cercle, provienne singulier style de M. de Goncourt. […] III À ce sentiment vif et pénétrant de la vie en acte, de ses remuements physiques et des ses agitations morales, à cette recherche appliquée et reprise de l’enveloppement du fait par la phrase, se joint en M. de Goncourt le goût particulier d’une certaine sorte de beauté, qu’il recherche avidement et rend amoureusement, dont l’attrait l’a guidé dans ses courses de collectionneur, dans la détermination des sujets et des scènes de la plupart de ses romans : le goût passionné du joli. […] De là aussi, de son goût du bizarre et du fantastique, les soubresauts de son récit, la terrible nervosité des derniers chapitres de La Fanstin et de Chérie, ces agonies atroces, ces scènes nocturnes traitées à l’eau-forte, ces personnages ambigus et gris, le mystère de certains de ses dévoilements, la richesse barbare de certains de ses intérieurs.

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