C’est de cette gloire, un moment consacrée, qu’il s’agit aujourd’hui de nous rendre bien compte. […] J’ai souvent pensé qu’un poëte élégiaque, qui, son amour une fois chanté, se tairait à jamais et obstinément, comme Gray, par exemple, agirait bien plus dans l’intérêt de sa gloire ; il se formerait autour de son œuvre je ne sais quoi de mystérieux, de conforme au genre et au sujet. […] Il parut le comprendre et ne fit à peu près rien depuis ce temps, rien que des bagatelles plus ou moins gracieuses, dont la négligence ne pouvait compromettre sa gloire. Cette gloire était réelle, et, malgré les quelques éclipses et les taches qu’elle s’était faites à elle-même, on la trouve, vers 1810, universellement établie et incontestée. […] Parny mourut le 5 décembre 1814, avant d’avoir pu même entrevoir le déclin et l’échec de sa gloire.
Madame Récamier n’aspirait nullement à la gloire des lettres, elle se contentait de jouir du talent : c’est en partager les jouissances sans en avoir les angoisses ; madame de Staël n’avait pas renoncé encore et ne renonça jamais aux affections tendres, besoin de son cœur comme l’éclat était le besoin de son esprit. […] Ce fut à cette époque (1819) que M. de Chateaubriand, alors dans toute la fièvre de ses triples ambitions de gloire, de puissance et d’amour, commença à jouer un rôle dans la vie de madame Récamier. […] Les plus assidus alors étaient : le comte de Bristol, frère de la duchesse de Devonshire ; l’illustre et élégant chimiste anglais Davy ; miss Edgeworth, auteur de romans de mœurs ; Alexandre de Humboldt, l’homme universel et insinuant, recherchant de l’intimité et de la gloire dans toutes les opinions et dans tous les salons propres à répandre l’admiration dont il était affamé ; M. de Kératry, écrivain et publiciste de bonne foi ; M. […] Ils furent, Ballanche et lui, les deux bonnes fortunes de madame Récamier ; M. de Chateaubriand n’en fut que la gloire extérieure. […] « Me voici à Londres », écrit-il à son amie ; je ne fais pas un pas qui ne m’y rappelle ma jeunesse, mes souffrances, les amis que j’ai perdus, les espérances dont je me berçais, mes premiers travaux, mes rêves de gloire.
Serait-il vrai de dire que, jetant à son tour ses regards sur ce double monde de la philosophie et de la science, dont Descartes venait de rouvrir les chemins, et y trouvant les profondes empreintes d’un homme de génie, il se détourna vers un ordre de vérités moins exploré, pour la seule gloire mondaine de ne marcher à la suite de personne ? […] Or, par combien de choses n’était-il pas soutenu contre cette crainte, outre la gloire humaine, qui fait qu’on a foi même à ce qui est faux, pour peu qu’on y soit engagé de réputation ? […] Bossuet, Fénelon, a-t-on dit, les deux gloires de la théologie en France, ont été philosophes ; Leibniz, un des plus grands noms de la philosophie moderne, a été chrétien. […] La gloire est venue chercher celui qui la fuyait. […] Tous les genres d’écrire ont un premier modèle dans cet homme, qui ne s’est jamais piqué de la gloire d’écrire.