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512. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’empire ; il croît, inconnu, auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. […] C’est un recueil de pages étincelantes d’érudition prétentieuse, de piété affectée, un trompe-l’œil admirable pour les fidèles de l’Évangile ou de la gloire classique ; cela réussit complétement. […] Sa gloire, réduite à la voix d’un petit nombre d’amis, parmi lesquels on remarquait le publiciste de la République, M.  […] L’ennui est la maladie de Chateaubriand, il en vit et il en meurt ; mais cet ennui infini est son caractère et son génie, ôtez-le lui, il n’y a plus qu’un homme heureux ; mais il n’était pas fait pour le bonheur : il eût demandé avec larmes des larmes à Dieu ; oui, il eût pleuré pour obtenir la gloire des douleurs. […] Il commença par le saluer et par le servir ; puis il en devint jaloux et l’outragea ; puis il assista à sa chute et le traîna dans la boue ; puis il s’assit sur son tombeau et le grandit quand il n’eut plus à le craindre ; puis il se compara ridiculement à lui et le reconnut pour frère dans la gloire.

513. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Il y pouvoit recevoir en un seul lieu les suffrages de toute la Gréce ; et les vainqueurs excités à la libéralité par leur propre gloire, payoient les loüanges avec profusion. […] J’exécute ce qu’Anacréon raconte, et en voulant célébrer la gloire de Mars, je me laisse insensiblement entraîner à une digression sur ses amours avec Vénus, d’où je ne puis revenir au sujet que je m’étois proposé. […] Horace est le premier, comme il le dit lui-même, qui ait fait entendre aux latins la lyre des grecs ; il pouvoit dire encore qu’il l’avoit perfectionnée ; personne ne lui eût contesté cette gloire. […] Ronsard ne laissa pas d’être l’admiration de son siécle : mais sa gloire ne lui survêcut gueres, et il est enfin tombé dans un oubli, dont il n’y a pas d’apparence qu’il se reléve. […] Si cependant le mérite peut excuser ce defaut, Malherbe est assez justifié, puisque tout le monde est convenu avec lui de la perfection de ses vers : mais sa gloire en seroit-elle moins grande, quand on ne le compteroit pas lui-même au nombre de ses admirateurs ?

514. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Il savait échapper aux ovations stériles et à ces curieux de société qui se sont toujours fait gloire d’honorer les neuf Sœurs. […] Quelques amitiés solides et variées, un petit nombre d’intimités au sein des êtres plus rapprochés de nous par le hasard ou la nature, intimités dont l’accord moral est la suprême convenance ; des liaisons avec les maîtres de l’art, étroites s’il se peut, discrètes cependant, qui ne soient pas des chaînes, qu’on cultive à distance et qui honorent ; beaucoup de retraite, de liberté dans la vie, de comparaison rassise et d’élan solitaire, c’est certainement, en une société dissoute ou factice comme la nôtre, pour le poëte qui n’est pas en proie à trop de gloire ni adonné au tumulte du drame, la meilleure condition d’existence heureuse, d’inspiration soutenue et d’originalité sans mélange. […] Milton, vieux, aveugle et sans gloire, se faisant lire Homère ou la Bible par la douce voix de ses filles, ne se croyait pas seul, et conversait de longues heures avec les antiques génies.

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