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466. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Dans tous les jugements qu’on a portés sur La Bruyère, on a fait contraster avec la gloire de ses écrits l’obscurité et l’insignifiance de sa vie. […] Ce moment dura près de quarante années, les plus belles peut-être de l’histoire de notre nation, non seulement par la gloire des lettres et des arts, mais par l’emploi le plus complet de toutes ses facultés : au dedans, par les conquêtes pacifiques de l’unité sur les restes des institutions et des habitudes féodales ; au dehors, par des guerres glorieuses qui réunissaient au corps de la France des provinces qui en étaient comme les membres naturels. […] A peine, dans quelques chapitres, un ou deux de ces portraits, qui firent plus tard la gloire de La Bruyère, interrompaient-ils cette suite de moralités détachées, que rassemblait, sans les lier, le titre du chapitre. […] Suard s’en doute bien un peu ; mais, dans le pieux désir de ménager une gloire si populaire, il aime mieux faire tort aux pensées de leur vulgarité qu’à l’auteur. « La justesse d’une pensée, dit-il, la rend triviale. » C’est une excuse d’apologiste, et non une vérité. […] La Bruyère les a traités fort mal. « Ce sont, dit-il, de vieux corbeaux qui croassent autour de ceux qui, d’un vol libre et d’une plume légère, se sont élevés à quelque gloire par leurs écrits111. » Ils n’en ont pas moins touché le point faible, et ils n’ont fait que dire par malignité ce que Boileau disait avec la réserve de l’estime.

467. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

C’est là sa gloire ; elle implique un léger défaut. […] Cependant, pour ne laisser aucun doute dès l’abord sur ce reproche d’obscurité qui reviendrait souvent, je citerai tout de suite, dans un genre opposé, ce couplet de L’Épée de Damoclès, où le poète s’attaque à Louis XVIII dans la personne de Denys le Tyran : Tu crois du Pinde avoir conquis la gloire, Quand ses lauriers, de ta foudre encor chauds Vont à prix d’or te cacher à l’histoire, Ou balayer la fange des cachots… Ce couplet reste à l’état de pur logogriphe. — Je reprends la série des premières chansons. […] Il y a quelques années déjà que, l’étudiant à part moi, et sans songer à venir reparler de lui au public, j’écrivais cette page que je demande la permission de transcrire, comme l’expression la plus sincère et la plus nette de mon dernier sentiment littéraire à son égard : Béranger a obtenu de gloire tout ce qu’il en mérite, et un peu au-delà ; sa réputation est au comble. […] Lui si amer pour tous, et si en garde avec les hommes de son bord, il ne s’est dit qu’il fallait être en avances avec Béranger et avec Carrel que parce que tous deux lui apportaient pour sa gloire un appoint de popularité : l’un et l’autre représentaient un grand parti ; en le joignant à ce qu’il avait déjà, il augmentait et complétait son armée d’admirateurs. […] Sainte-Beuve a rendu un immense service à la littérature et à la morale en attachant le grelot à la gloire de M. 

468. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

La considération et l’estime ne se séparèrent jamais, pour elle, de l’idée de célébrité et de gloire. […] La vraie date de Mlle de Scudéry est à ce moment, à l’heure de la régence, aux beaux jours d’Anne d’Autriche, avant et après la Fronde, et sa gloire dura sans aucun échec jusqu’à ce que Boileau y vînt porter atteinte, en vrai trouble-fête qu’il était : « Ce Despréaux, disait Segrais, ne sait autre chose que parler de lui et critiquer les autres : pourquoi parler mal de Mlle de Scudéry comme il l’a fait ?  […] Un des premiers sujets qu’elle y traite est celui de la Conversation même : Comme la conversation est le lien de la société de tous les hommes, le plus grand plaisir des honnêtes gens et le moyen le plus ordinaire d’introduire non seulement la politesse dans le monde, mais encore la morale la plus pure et l’amour de la gloire et de la vertu, il me paraît que la compagnie ne peut s’entretenir plus agréablement ni plus utilement, dit Cilénie (un de ces personnages qu’elle aime), que d’examiner ce que c’est qu’on appelle conversation. […] Le premier sujet désigné par Balzac même était De la louange et de la gloire : Mlle de Scudéry le traita et obtint le prix, au grand applaudissement de tout ce qui restait de vieux académiciens du temps de Richelieu. […] Elle continua de vieillir et de survivre à sa renommée, étant véritablement ruinée au-dehors, mais jouissant encore de la gloire dans sa chambre et à huis clos.

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