Une disposition invincible à narguer et à chansonner les gens de loi, les gens d’église, les puissants, le beau sexe et les maris, devint un des traits persistants du caractère national. […] Le grand art de Béranger, son coup de maître et à la fois de citoyen, a été de rallier tant de fines, d’éternelles observations, héritage de Molière et de La Fontaine, autour des sentiments actuels les plus enflammés, d’appeler les qualités permanentes de la nation au foyer des émotions nouvelles, de lier les unes et les autres en faisceau indissoluble, de grouper les Gueux, même Frétillon, ou Madame Grégoire, sous les plis du glorieux Drapeau, la Sainte Alliance des Peuples formant la chaîne aux collines d’alentour, et le Dieu des Bonnes Gens bénissant le tout.
Mais les sentiments et idées qu’elle produisait n’étaient pas une atmosphère où pussent vivre constamment des gens tels que nos Français, pourvus d’instincts très positifs, chez qui rien ne parvenait à oblitérer tout à fait le sens commun et la fine intuition îles réalités. […] De bonne heure, dès que la société se fut constituée dans une forme régulière ils y apparurent comme des irréguliers, des déclassés, et, comme tels, ils excitèrent la curiosité du public honorable et rangé, sur qui la vie de bohème a toujours exercé une fascination singulière, Ils surent exploiter ce sentiment, ils se peignirent à leurs contemporains, avec un mélange curieux de servile bouffonnerie et de-touchante sincérité, qui était fait pour exciter un peu de pitié parmi beaucoup de mépris, et délier les cordons de la bourse des gens qui avaient ri. […] Prêche-t-il la croisade, il nous montre les gens qui se croisent : Quand la tête est bien avinée, Au feu, devant la cheminée.
Il est naturel que des gens qui restent dans la théorie enseignent une morale austère, élevée, difficile et belle. […] Beaucoup d’hommes sont d’ailleurs femmes sur ce point) ; il la nie comme étant une morale d’envieux, de gens jaloux de toute force et de toute supériorité de force, une morale de conformistes à la fois serviles et intolérants. À tous ces gens-là la vie en troupeau est nécessaire parce qu’elle est le champ où prospèrent les vertus à leur portée et que ne peut pas ne pas mépriser une âme forte, ayant le sentiment de sa force et de sa grandeur. — Mais au-dessus de cette morale misérable, par-delà cette morale misérable, jalouse de toute force, de toute grandeur, de toute beauté individualisée et s’affirmant comme indépendante du troupeau, l’aristocrate conçoit une morale faite pour lui et pour quelques hommes, ses pareils : une morale de surhomme, morale que chaque surhomme concevra d’ailleurs à sa façon, à son image, et sous l’inspiration de son idéal personnel.