Ce sont ces années actives et fécondes de la première maturité qu’il regrettait plus tard de n’avoir pu appliquer selon qu’il s’en estimait capable : repassant sa vie dans sa vieillesse et faisant son examen de conscience, il croyait qu’il y avait moins encore de sa faute dans cette médiocre fortune que de celle de son étoile : Si on me demande ce que c’est qu’étoile, disait-il, je répondrai que je ne le sais pas ; je sais seulement que c’est quelque chose de réel qu’on ne connaît point ; et je suis persuadé que ceux qui prétendent que notre bonne ou notre mauvaise fortune dépend de notre conduite ont grand tort ; elle y peut beaucoup, mais l’étoile y peut encore plus. […] Un honnête homme se passe aisément de la fortune, mais il ne saurait s’accommoder du manque de considération qui, en France, est indispensablement attaché à ce genre de vie.
Mme Des Houlières, qu’on voit de loin dans un costume couleur de rose, était triste : c’est une des personnes qui, avec le plus de moyens naturels d’être heureuse, eurent aussi le plus à se plaindre de la fortune. […] Des Houlières, qui reprit du service et vécut fort peu à ses côtés, elle ne put jamais relever ses affaires de fortune, dérangées par une longue absence, et sa vie se passa dans des gênes continuelles, que l’agrément de la société ne recouvrait qu’à demi. […] L’esprit persistait ; la philosophie revient toute voisine de cette pièce pénitente et de quelques paraphrases des Psaumes, dans des réflexions hautement stoïques ; on dirait qu’elle essaie la mort de tous les côtés : Misérable jouet de l’aveugle fortune, Victime des maux et des lois, Homme, toi qui, par mille endroits, Dois trouver la vie importune, D’où vient que de la mort tu crains tant le pouvoir ?
XXI Maintenant, pour nous faire une idée juste de ce qu’est la poésie lyrique, écoutons chanter dans un même homme d’abord ce pauvre petit berger des montagnes de Bethléem ; puis cet adolescent armé de sa fronde, libérateur de son pays ; puis ce musicien favori de Saül assoupissant avec sa harpe les convulsions d’esprit de son roi ; puis ce proscrit cherchant asile dans les cavernes de Moab ; puis ce chef de bande et de parti courant les aventures sur les frontières de la Judée ; puis ce roi choisi par les prêtres et acclamé par le peuple pour éteindre la race de Saül et pour fonder sa propre dynastie ; puis ce souverain exalté par sa haute fortune, ne refusant rien à ses intérêts ni à ses amours, et ternissant ainsi sa vieillesse après avoir couvert d’innocence et de gloire ses jeunes années ; puis le vieillard puni, repentant, rappelé à Dieu par l’extrémité de ses châtiments, et convertissant encore ses sanglots en cantiques pour fléchir et pour attendrir son juge là-haut. […] « Alléger par la patience le poids du joug que la fortune nous impose ! […] « Être enfant avec les enfants, homme avec les hommes, vieux avec les vieillards ; se proportionner aux trois âges de la vie humaine, c’est le secret de plaire à tous ; et cependant il y a pour les mortels une quatrième condition de bonheur plus difficile : « S’accommoder de sa fortune présente !