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630. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Il y était intéressé et parce qu’il était fort loué dans le poème, et par toutes sortes de motifs de revanche délicate ou de prosélytisme philosophique ; pourtant il loue si fort, et il y revient si souvent dans les mêmes termes, qu’il faut bien croire que c’était le fond de sa pensée : J’ai un remords, écrivait-il à Saint-Lambert (7 mars 1709), c’est d’avoir insinué à la fin du Siècle présent, qui termine le grand Siècle de Louis XIV, que les beaux arts dégénéraient. […] » — « Ce qui lui manque, c’est une âme qui se tourmente, un esprit violent, une imagination forte et bouillante, une lyre qui ait plus de cordes ; la sienne n’en a pas assez… Oh ! […] Si l’on ajoute aux huit vers cités par Mme Du Deffand et qui sont du chant de L’Automne, quelques vers assez beaux peignant les jours caniculaires de L’Été et cet accablement qui pèse alors sur tous les corps mortels : Tout est morne, brûlant, tranquille, et la lumière Est seule en mouvement dans la nature entière, on aura présent à l’esprit à peu près tout ce qu’il y a d’un peu remarquable pour nous dans ce poème si fort vanté à sa naissance et aujourd’hui tout entier passé. […] Ce noble et bon vieillard a écrit dans ses dernières années d’admirables lettres où respire la poésie de la solitude, de la campagne, de la famille regrettée et perdue, de l’amitié toujours accueillie, et de la patrie céleste de plus en plus prochaine et souhaitée ; mais le même homme, qui a sous sa plume en prose des paroles douces et fortes comme le miel des déserts, ne trouve plus dans ses vers de la même date que des couleurs mêlées, inégales, et où le talent se relâche trop dans la bonhomie : ici, c’est l’art et l’originalité de forme qui a manqué. […] Les habitudes d’attention forte, les têtes qui pensent deviennent plus rares à mesure que la dissipation se répand, jusqu’à ce que les auteurs entendent autour d’eux ce cri général : Amuse-nous, amuse-nous à tout prix, ou nous mourons !

631. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Le christianisme était chose vivante à ses yeux, et il lui semblait que 89 n’avait été qu’un fort coup de cloche pour séculariser décidément la charité. […] Ajoutez que les amis ne m’ont jamais manqué, et que ma raison, plus forte que ma santé, m’a aidé à diriger mon frêle esquif à travers flots et tempêtes, sans faire naufrage à mon honneur ni à mon indépendance. […] Vous voyez, elle a sauvé un pauvre chansonnier, fort mauvais sujet au dire de nos dévots de place… Moi, j’avais le déisme dans le cœur, et j’ai vécu. […] Je tiens à conserver ma foi dans l’humanité. » Puis, à d’autres jours, la sociabilité dont il avait une si forte dose l’emportait sur son rassasiement des hommes ; il sentait le besoin du monde, des vieux amis ou même des jeunes visages nouveaux, et il se rapprochait, il revenait au gîte, à ce maudit Paris qu’on aime tant. […] Il serait pourtant fort curieux, là-dessus, à écouter de près, et pour ceux qui le croyaient des leurs, c’était un ami terrible.

632. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

« Les voyages, disait-il, ne me blessent que par la dépense. » Il aimait mieux les faire plus courts et moins fréquents, mais plus à son aise, sinon en grand seigneur et avec un grand train, du moins avec un train fort honnête. […] Il avait naturellement la joie de l’esprit et celle de l’humeur ; il fallait qu’il eût bien fort la gravelle pour être triste, tout comme Horace qui est heureux partout, à moins que la pituite ne s’en mêle : Nisi cum pituita molesta est. […] Il s’était prémuni pour l’Italie, non pour l’Allemagne ; et cette Allemagne lui plaisait fort, bien plus qu’il ne l’aurait cru. […] A peu de distance de là, il admire fort le paysage : « Ce vallon semblait à M. de Montaigne représenter le plus agréable paysage qu’il eût jamais vu ; tantôt se resserrant, les montagnes venant à se presser, et puis s’élargissant à cette heure de notre côté, qui étions à main gauche de la rivière, et gagnant du pays à cultiver et à labourer dans la pente même des monts qui n’étaient pas Ri droits, tantôt de l’autre part ; et puis découvrant des plaines à deux ou trois étages l’une sur l’autre, et tout plein de belles maisons de gentilshommes et des églises. […] Il disait aussi qu’il lui semblait être comme ceux qui lisent quelque fort plaisant conte, d’où il leur prend crainte qu’il vienne bientôt à finir, ou un beau livre : lui de même prenait si grand plaisir à voyager qu’il haïssait le voisinage du lieu où il se dût reposer… ».

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