Le 23 du mois dernier, est mort dans la force de l’âge un homme dont le nom et les œuvres n’étaient guère connus que de ceux qui s’occupent des productions de l’esprit, mais qui était fort apprécié par les meilleurs juges, d’une intelligence rare, élevée, étendue et sérieuse, d’un goût fin, curieux, quelquefois singulier, mais distingué toujours, d’un caractère à part, ironique et original ; écrivain des plus spirituels et des moins communs, et qu’il serait injuste de traiter comme il semblait par moments désirer qu’on le fît, c’est-à-dire par l’omission et le silence. […] Ce n’est pas même une conversation, c’est un cours de poésie française, un cours froid et sans relief, assaisonné de force plaisanteries indirectes et d’allusions contre les romantiques du temps. […] C’est un défaut pour l’histoire, laquelle, dans sa simplicité et sa force, ne comporte guère ce genre de malice couverte et d’épigramme.
Mais là où Diderot est surtout excellent à entendre, même pour des peintres, c’est quand il insiste sur la force de l’unité dans une composition, sur l’harmonie et l’effet d’un ensemble, sur la conspiration générale des mouvements ; il comprend d’instinct cette vaste et large unité, il y revient sans cesse ; il veut la concordance des tons et des expressions, la liaison facile des accessoires à l’ensemble, la convenance naturelle. […] On en ferait un excellent chapitre de la force de l’unité. » Diderot en tout ceci est grand critique, et dans cet ordre de critique générale auquel aucun art, sous prétexte de technique, ne saurait se dérober : Il me semble, dit-il, que quand on prend le pinceau, il faudrait avoir quelque idée forte, ingénieuse, délicate ou piquante, et se proposer quelque effet, quelque impression… Il y a bien peu d’artistes qui aient des idées, et il n’y en a presque pas un seul qui puisse s’en passer… Point de milieu, ou des idées intéressantes, un sujet original, ou un faire étonnant. […] Diderot, ainsi rappelé à son examen de conscience, écrivait pour tout commentaire : « Je n’ai jamais lu ce chapitre sans rougir, c’est mon histoire. » Bien des années auparavant, il s’était dit : « Je n’ai pas la conscience d’avoir encore employé la moitié de mes forces ; jusqu’à présent, je n’ai que baguenaudé. » Il put se répéter la même chose en mourant.
Il n’entendait pas restreindre moins rigoureusement les arts du dessin ; il était sans pitié pour les statues : « Gouvernements, s’écriait-il, voulez-vous accroître la force de l’homme ? […] C’est que lui-même, avec de la force et de l’ingéniosité, il a l’âpreté de son Rouergue et de ses montagnes ; c’est le moins Athénien des esprits. […] Il y a de la force, de la dignité, un sentiment profond, à la fois historique et religieux ; mais ce chapitre me paraît gâté encore et interrompu dans ce qu’il a de simple et de grave par des raisonnements de théoricien et d’homme de parti.