Les lecteurs de bonne foi n’auraient eu alors qu’à approuver le plus souvent et à admirer la force et l’ingénieux de la démonstration. […] Leur force active cérébrale est restée intègre. Ils avaient tout d’abord un grand poids à soulever ; ils s’y sont mis tout entiers et y ont réussi ; le poids soulevé, ils ont pu se croire vieux de cœur et se sentir lassés ; le duvet de la jeunesse s’était envolé déjà ; le pli était pris ; c’est le pli de la force et de l’austère virilité ; on l’a payé de quelques sacrifices. […] Les hommes de sa force ne sont pas des lauréats, ce sont des juges.
J’ai désormais des devoirs plus simples et plus clairs ; le reste de ma vie sera, je l’espère, consacré à les remplir, selon la mesure de mes forces… Qu’on ne s’y trompe pas, le monde a changé : il est las des querelles dogmatiques. » Telle est la déclaration formelle que M. de La Mennais exprime aux dernières pages de ce livre ; les termes seuls dans lesquels elle est conçue montrent assez que, si le nouvel écrit est destiné à clore la série de ceux que l’auteur a publiés à partir des Réflexions sur l’État de l’Église, datant de 1808, il ne leur ressemble ni par les principes ni par le ton, et que, sinon pour le sujet et la matière, du moins dans les pensées et les conclusions, il se rattache déjà à cette série d’écrits futurs que nous promet l’illustre auteur. […] Voilà ce qui, avec une admirable force de logique, une grande chaleur d’imagination et une pratique continuelle et courageuse de liberté que s’arrogeait l’écrivain à titre de prêtre, voilà ce qui, pour toute mémoire qui n’est pas oblitérée, marque le rôle de M. de La Mennais jusqu’en juillet 1830. […] Le Pape, invoqué sans cesse, pouvait parler, et force était alors d’obéir ou de n’être plus du tout le même. […] Le talent, ce don, cet instrument un peu particulier et qui ne suit pas nécessairement la loi de la vérité intérieure, a gagné chez M. de La Mennais en souplesse, en variété, en grâce et en coloris, sans perdre en force, à mesure que sa rigueur de foi a été davantage ébranlée.
Cette Convention, ainsi décapitée et privée des chefs qui faisaient sa terreur et sa force, n’est pourtant pas à mépriser ; Mallet du Pan n’a garde de s’y méprendre, et, en général, il pense que « c’est un mauvais conseil que le mépris de son ennemi. » — « Individuellement, dit-il, la Convention est composée de pygmées ; mais ces pygmées, toute les fois qu’ils agissent en masse, ont la force d’Hercule, — celle de la fièvre ardente. » Quant au peuple, au public en France, à la masse de la population, Mallet la connaît bien ; il ne lui prête ni ne lui ôte rien quand il la montre, au sortir du 9 Thermidor, n’ayant qu’un désir et qu’une passion, le repos et la paix, avec ou sans monarchie, et plutôt sans monarchie s’il est possible : Celle-ci (c’est-à-dire la monarchie), écrit-il à l’abbé de Pradt le 1er novembre 1794, n’a encore que des partisans timides. […] celui-là a su mettre à profit l’adversité… Je ne me suis donc pas trop avancé quand j’ai dit que Mallet du Pan, s’il avait vécu jusqu’en 1830, n’eût pas manqué d’adhérer à la tentative de monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe ; et avec son rare pronostic, dès le 20 février 1796, dans une lettre où il est question de ce même duc d’Orléans, il écrivait : Si, par une conduite compatible avec les personnes, avec les préjugés et les intérêts du temps, avec la force impérieuse des circonstances, le roi (Louis XVIII) ne retourne et ne fixe vers lui ou vers sa branche cette multitude de révolutionnaires anciens et nouveaux, Royalisés à demi ou en chemin de se royaliser, vous les verrez prendre le premier roi qui s’arrangera avec eux. […] Mallet ne pardonne point aux princes émigrés de ne pas comprendre ce mouvement spontané des sections de Paris, de ne pas le favoriser de toutes leurs forces en agréant la fusion des Constitutionnels : Avec un million d’écus, un million de livres, écrivait-il au comte de Sainte-Aldegonde (23 septembre 1795), on décidait de haute lutte la victoire des sections.