L’édifice, construit et approprié avant la Révolution pour la nombreuse famille de mon grand-père, était trop vaste pour un célibataire. […] Je passais une partie des jours à côté de lui, à la cuisine, à écouter les vieilles légendes de la famille, qu’il se plaisait lui-même à me raconter. […] À midi, quand j’eus accompli ce funèbre devoir, et déposé avec le cercueil, la meilleure partie de ma vie dans le caveau de la chapelle de famille, entre l’église rustique et le jardin du château de Saint-Point, je rentrai dans cette maison vide pendant l’hiver, et mille fois plus vide depuis que celle qui l’animait de son sourire dormait les premiers jours de son éternel sommeil. […] Le jeune officier s’y asseyait le soir et le matin comme un fils ou un frère de la famille.
C’est donc, selon la logique, le moment où il faut dire au lecteur : Voilà quel était ce personnage, voilà d’où il venait, voilà comment il était sorti de l’obscurité, voilà dans quelles dispositions de famille, de corps, d’esprit, de passion il arrivait pour participer à l’événement. […] Seulement la confiscation des biens de l’émigré, droit qui punit les enfants et la famille de la faute d’un père, dont ils sont innocents et pour lequel ils sont frappés dans leur existence, est un faux principe en équité comme en politique. […] La nation eut tort de ne pas retirer à elle le pouvoir tout entier, puisqu’elle en rejetait la responsabilité sur un fantôme de roi… Le roi et sa famille n’auraient pas péri, la nation n’aurait eu à accuser qu’elle-même de ses convulsions, la république constitutionnelle se serait établie sans 10 août, sans massacres de septembre, sans 21 janvier, sans terreur ; ou bien la France, convaincue de l’impuissance de la république, aurait rappelé à un trône conservé intact Louis XVI et sa malheureuse famille, à la charge de maintenir les lois civiles sagement réformées en 1789.
Être contemporains, c’est presque être amis, si l’on est bons ; la terre est un foyer de famille, la vie en commun est une parenté. […] « Selon moi, le voici. » XI Alors, usant largement de l’attention passionnée qu’ils accordaient à ma personne et à mes paroles, je leur démontrai, avec une énergique sincérité, que personne n’avait le secret de l’organisation du travail, ni d’une organisation de fond en comble, d’une organisation parfaite de la société, dite socialisme, où il n’y aurait plus ni inégalité, ni injustice, ni luxe, ni misère ; qu’une telle société ne serait plus la terre, mais le paradis ; que tout le monde s’y reposerait dans un repos si parfait et si doux que le mouvement même y cesserait à l’instant, car personne n’aurait le désir de respirer seulement un peu plus d’air que son voisin ; que ce ne serait plus la vie, mais la mort ; que l’égalité des biens était un rêve tellement absurde dans notre condition humaine que, lors même qu’on viendrait à partager à parts égales le matin, il faudrait recommencer le partage le soir, car les conditions auraient changé dans la journée par la vertu ou le vice, la maladie ou la santé, le nombre des vieillards ou des enfants survenus dans la famille, le talent ou l’ignorance, la diligence ou la paresse de chaque partageur dans la communauté, à moins qu’on n’adoptât l’égalité des salaires pour tous les salariés, laborieux ou paresseux, méritant ou ne méritant pas leur pain ; que le repos et la débauche vivraient aux dépens du travail et de la vertu, formule révoltante, quoique évangélique, de M. […] Vous ne voulez pas, etc. » Je leur énumérai ici les misères innombrables et imméritées auxquelles la famille du prolétaire est sujette par le chômage, le veuvage, la caducité, l’abandon, le dénuement des orphelins, et tous les cas où la providence tutélaire d’une société bien inspirée doit s’étendre par l’œil et par la main d’un gouvernement sérieusement populaire, où elle doit intervenir afin de soulager et de rectifier des misères imméritées par des secours actifs et par la charité sociale. […] Voilà l’injustice de la société ; voilà une de ces mille et mille péripéties inhérentes à la vie humaine, où les membres vertueux, laborieux, pieux de la famille, sont en même temps les plus vertueux et les plus torturés de la société innocente.