Ils regrettaient le passé, fidèles à la ballade, à la villanelle, aux vieux mots gaulois, au système de poésie facile qui permettait à Ronsard de faire, si on l’en croit, quatre cents vers dans sa journée. […] La prose est trop facile, et son bas naturel N’a rien qui puisse rendre un auteur immortel. […] La Fontaine, si supérieur dans les fables qu’il avait faites difficilement, d’après la nouvelle discipline, pouvait s’en tenir au genre facile et aimable, dans lequel il donnait quittance à Fouquet des quartiers de sa pension, et continuer de haïr le travail. […] Sans l’aiguillon de Boileau, Molière et Racine risquaient de s’égarer, ou de ne pas remplir tout leur génie, Molière en s’en tenant à la comédie bourgeoise ou d’intrigue, Racine en raffinant sur la tendresse, où le portait sa nature délicate et passionnée, tous les deux en n’acceptant pas dans toute sa rigueur la loi, imposée par l’Art poétique, de faire difficilement des vers faciles. […] Le premier aveu était facile ; il coûtait peu à l’amour-propre.
Enfin, allant de ville en ville, “toujours pleurant, rimant toujours”, il voit à Masino son cher ami de Lisbonne, l’excellent abbé de Caluso ; il voit aussi les deux maîtres de ce style facile et souple qu’il s’efforçait d’atteindre, Parini à Milan et Cesarotti à Padoue ; il revient ensuite en Toscane, il y fait imprimer un nouveau choix de ses tragédies ; puis, incapable de supporter sa douleur, il veut se distraire en changeant de place et part soudain pour l’Angleterre. […] Ce à quoi je voulais surtout prendre garde, c’était à ne le pas faire trop long, ce qui m’eût été bien facile, si je me fusse laissé entraîner aux épisodes et aux ornements. […] Ma petite vanité eut alors de quoi se trouver satisfaite, car on distingua surtout mes beaux chevaux anglais qui l’emportaient en force, en beauté, sur tous ceux qu’on avait pu voir en pareille rencontre ; mais, au milieu d’une jouissance si puérile et si trompeuse, je vis, à mon grand désespoir, que dans cette Italie morte et corrompue il était plus facile de se faire remarquer par des chevaux que par des tragédies. […] Nous avions pris la route de Calais, parce que la guerre n’ayant point encore éclaté entre la France et les Anglais, nous pensâmes qu’il serait plus facile de passer en Angleterre qu’en Flandre, où la guerre se poussait vivement.
C’est que les mots facile et difficile n’ont plus de sens, appliqués au spontané. […] Car l’humanité est bien plus facile à reconnaître dans ses produits que dans son essence abstraite, et dans ses produits spontanés que dans ses produits réflexes. […] Ils ont cet instinct moral, ce bon sens pratique et sans grande profondeur d’analyse, mais populaire et facile, qui fait le génie des religions, joint à ce don prophétique qui souvent sait parler de Dieu plus éloquemment et surtout plus abondamment que la science et le rationalisme. […] Ces deux phases dans la création légendaire correspondent aux deux âges de toute religion : l’âge primitif, où elle sort belle et pure de la conscience humaine, comme le rayon de soleil, âge de foi simple et naïve, sans retour, sans objection, ni réfutation ; et l’âge réfléchi, où l’objection et l’apologétique se sont produites ; âge subtil, où la réflexion devient exigeante, sans pouvoir se satisfaire ; où le merveilleux, autrefois si facile, si bien imaginé, si suavement conçu, reflet si pur des instincts moraux de l’humanité, devient timide, mesquin, parfois immoral, surnaturel au petit pied, miracles de coterie et de confréries, etc.