M. de Musset lui fit d’emblée quelque déchirure : il osa avoir de l’esprit, même avec un brin de scandale. Depuis Voltaire, on a trop oublié l’esprit, en poésie ; M. de Musset lui refit une large part ; avec cela, il eut encore ce qu’ont si peu nos poëtes modernes, la passion. De la passion et de l’esprit, voilà donc son double lot dans ses charmants contes, dans ses petits drames pétillants et colorés.
Le mot d’amour réveille dans l’esprit de ceux qui l’entendent, autant d’idées diverses que les impressions dont ils sont susceptibles. Un très grand nombre d’hommes n’ont connu ni l’amour de la gloire, ni l’ambition, ni l’esprit de parti, etc. […] Phèdre est sous le joug de la fatalité, les sensations inspirent Anacréon, Tibulle mêle une sorte d’esprit madrigalique à ses peintures voluptueuses, quelques vers de Didon, Ceyx et Alcione dans Ovide, malgré la mythologie, qui distrait l’intérêt en l’éloignant des situations naturelles, sont presque les seuls morceaux où le sentiment ait toute sa force, parce qu’il est séparé de toute autre influence.
Mais à l’ordinaire on ne songe guère à cela : la plupart des gens ne sont occupés qu’à dégorger ce qu’ils croient savoir, à tirer la conversation du côté par où ils pensent briller, à faire les honneurs de leur information ou de leur esprit. […] En un mot, au lieu de se persuader qu’on a affaire à de purs esprits et à des axiomes universels, on croira qu’on a devant soi un individu vivant, en qui tout est borné et relatif, chez qui les affections, les habitudes, la disposition physique font échec à la vérité ; on prendra la parole qu’on entend pour le signe de l’âme qu’on ne voit ni n’entend ; on tâchera par elle de deviner ce qu’est l’invisible personne qui ne se laisse jamais atteindre que par le dehors. […] Vous saurez aussi ce qui est à votre usage dans son esprit, ce qu’il vous convient de vous approprier ou de lui laisser dans les idées qu’il exprime.