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768. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

On en ôte quantité de mots expressifs et pittoresques, tous ceux qui sont crus, gaulois ou naïfs, tous ceux qui sont locaux et provinciaux ou personnels et forgés, toutes les locutions familières et proverbiales356, nombre de tours familiers, brusques et francs, toutes les métaphores risquées et poignantes, presque toutes ces façons de parler inventées et primesautières qui, par leur éclair soudain, font jaillir dans l’imagination la forme colorée, exacte et complète des choses, mais dont la trop vive secousse choquerait les bienséances de la conversation polie. « Il ne faut qu’un mauvais mot, disait Vaugelas, pour faire mépriser une personne dans une compagnie », et, à la veille de la Révolution, un mauvais mot dénoncé par Mme de Luxembourg rejette encore un homme au rang des « espèces », parce que le bon langage est toujours une partie des bonnes façons  Par ce grattage incessant la langue se réduit et se décolore : Vaugelas juge déjà qu’on a retranché la moitié des phrases et des mots d’Amyot357. […] S’il s’agit, comme dans le poème dramatique, de créer des personnages, le moule classique n’en peut façonner que d’une espèce : ce sont ceux qui, par éducation, naissance ou imitation, parlent toujours bien, en d’autres termes, des gens du monde. […] Pour prendre un exemple au hasard, je trouve dans l’Optimiste (1788), de Colin d’Harleville, l’indication suivante : « La scène représente un bosquet rempli d’arbres odoriférants. » — Il eût été contraire à l’esprit classique de dire quels étaient ces arbres, lilas, tilleuls, aubépines, etc. — De même dans les paysages peints, les arbres ne sont d’aucune espèce connue : ce sont des arbres en général.

769. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Rien ne reste, et l’humanité, le monde disparaîtraient bientôt, si les espèces ne demeuraient : dans cette grande querelle des universaux qui a si longtemps partagé les scolastiques, Jean de Meung, avec Alain de Lille, est réaliste, mais d’un réalisme à la fois très élevé et très sensé. Les phénomènes passent, les individus meurent : l’espèce seule a de la réalité, seule elle est, parce que seule elle reste. […] Mais l’usage de l’instinct crée le mérite et le démérite : l’homme est libre, et, selon sa science, choisit entre les actes que son instinct lui suggère ; s’il suit la nature et l’Évangile, qui en termes différents lui font le même commandement, la nature l’avertissant de travailler pour l’espèce, l’Évangile lui enjoignant de se dévouer au prochain, il se désintéressera ; il éloignera l’ambition, l’avarice, la volupté, l’égoïsme : il sera doux, humble, charitable, et s’efforcera de vaincre par l’amour les misères sociales.

770. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Le prêtre est donc l’espèce d’homme qu’ils rencontrent le moins souvent, qu’ils ont le moins l’occasion d’observer directement et de près. […] Vous reconnaissez là l’espèce ingénue des curés archéologues et écrivains qui, avec les anciens magistrats et les anciens notaires, assurent le recrutement des académies de province. […] Certes, c’étaient toujours les belles lignes sculpturales, pleines de noblesse, qui nous ont arrêté dès le commencement de cette étude… » Cette espèce d’ingénuité s’explique par la vigueur même et la profonde sincérité de la conception.

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